A Saint-Louis, la mer dicte sa loi

Guet Ndar est un quartier de pêcheurs. Il est situé sur la Langue de Barbarie, une bande de terre s’étendant du Nord au Sud de Saint-Louis et formant une barrière naturelle entre le Fleuve Sénégal et l’Océan Atlantique.

Abibatou Mbaye est née et a toujours vécu dans ce quartier.
Le 18 mars 2018, elle a perdu l’usage de ses jambes. Ce jour-là, des vagues déchainées ont causé l’effondrement d’un des murs de la maison.

Je suis handicapée depuis mars 2018. Nous sommes allés pour sauver les enfants qui jouaient à côté et le mur s’est effondré. Il y avait des vagues puissantes. Nous nous soignons encore mais c’est difficile avec le manque de moyens” – Abibatou Mbaye

La jeune femme, d’une trentaine d’années, et six autres membres de sa famille ont été grièvement blessés. Abibatou marche désormais à l’aide de béquilles.

Son beau-frère, Amadou Diop, nous guide vers ce qu’il reste de la maison à travers les ruelles escarpées de Guet Ndar. A l’intérieur, dans une courette plus de cinq personnes s’affairent. On entend le bruit des vagues qui finissent par éclabousser tout le monde.

Le phénomène de l’avancée de la mer nous dépasse. Depuis trois ans nous assistons impuissant à la destruction de ce quartier où nos ancêtres sont nés. Nous ne pensions pas que la mer allait arriver à ce niveau. Plus de cents maisons ont été détruites. Nous appelons à l’aide” – Amadou Diop

Plus tard, nous le retrouvons en compagnie de ses voisins à la place publique du quartier. Ils ont tous la soixantaine dépassée et ils n’ont pas souvenance d’une tragédie pareille. Durant leur jeunesse, la mer était très loin des maisons.

Habibou Diaw, un voisin de Amadou, explique les effets de l’avancée de la mer.

Avant, c’est le mur construit par les colons en 1927, qui nous a sauvé. Ce mur ne peut plus retenir la mer. Il a plus de 100 ans. Nous appelons les autorités à reconstruire ce mur pour que le phénomène cesse. Nous avons besoin d’aide et de soutien. Tous les matin nous nous asseyons en face de la plage et regardons la mer faire ses dégâts – Habibou Diaw

Goxou Mbathie craint le pire
Birane Mbaye est arrivé à Goxou Mbathie à l’âge de quatre ans.

A l’époque le quartier de pêcheurs venait d’être créé. Ses parents ont quitté Guet Ndar pour s’installer ici en 1977.

Cet ancien pêcheur a changé de métier après une altercation en mer avec des gardes-côte mauritaniens.

A quarante quatre ans, le pêcheur a acquis une très bonne connaissance de la mer.

Selon lui, l’avancée de la mer et l’érosion cotière ont surpris beaucoup de monde à Saint-Louis.

Quand nous étions jeunes, la mer était très éloignée. On aurait jamais pensé que la mer viendrait s’approcher des maisons. Nous étions à au moins un kilomètre. Ce phénomène a été constaté depuis les années 2000. Cela change la vie des populations riveraines qui font tout pour essayer d’arrêter la mer avec des sacs de sable mais rien n’y fait” – Birane Mbaye

Sur la plage de Goxou Mbathie, des ouvrages initiés par la société française Eiffage visent à faire reculer la mer.

Il s’agit de routes secondaires mais surtout de filets en fer remplis de bêtons disposés le long de la berge.

Une solution provisoire pour éviter que la mer n’emporte tout sur son passage.

Birane Mbaye n’est pas convaincu par cette initiative de l’entreprise française.

La digue d’Eiffage n’est pas une solution durable. Si la Langue de Barbarie est encore là c’est grâce au mur que les colons ont érigé ici. Pour sauver Goxou Mbathie et les quartiers pêcheurs de Saint-Louis, il faut une infrastructure solide mais pas ces filets avec du béton” – Birane Mbaye

Lors de sa visite au Sénégal en février 2018, le président français, Emmanuel Macron, a annoncé une aide de 15 millions d’euros pour financer la construction de cette digue contre l’érosion côtière à Saint Louis.

Le coût global du projet est estimé à 27 milliards de Fcfa. La construction de la digue est cofinancée par la France et la Banque mondiale. Elle est confiée à la société Eiffage.

La mer a fait beaucoup de dégâts durant ces dernières années. Depuis 1999, la mer avance sans arrêt. Elle a détruit des centaines de maisons. Nous souhaitons que l’Etat nous appuie avec des solutions durables. Eiffage fait du bon travail mais cela ne suffit pas” – Lamine Diakhaté

Sur la plage de Goxou Mbathie, Lamine Diakhaté, un vieux pêcheur est assis dans sa pirogue en train de réparer des filets. Cet homme a peur pour l’avenir de sa famille. Sa maison est proche de la plage et est directement menacée par les eaux.

La mer de Saint-Louis c’est un lion, il est le plus dangereux de toute la côte du Sénégal parce qu’elle est furieuse. On ne peut pas la maîtriser comme la mer de Dakar ou de Rufisque. Il faut une protection en ciment.” – Lamine Diakhaté

A Khar Yalla, les recasés “attendent” Dieu

A la sortie de la ville de Saint-Louis, sur la route qui mène à l’université Gaston Berger, des installations temporaires en paille et des tentes en bâche bleus meublent le décor.

Cette zone fait partie de l’estuaire du fleuve Sénégal qui s’y déverse en période de crue.

Il s’agit d’un camp de déplacés appelé « Khar Yalla » qui signifie “en attendant Dieu” en langue wolof.

Les déplacés des quartiers de pêcheurs de la Langue de Barbarie s’entassent ici dans des tentes de fortunes installées à même le sol.

Ils sont soutenus par les autorités municipales, le gouvernement du Sénégal et la Croix-Rouge.

Au milieu des installations provisoires, un groupe d’hommes et de femmes engagent une discussion très animée.

L’un d’entre eux est en train d’écrire sur une feuille blanche mais les cris et les plaintes l’empêchent de se concentrer.

Chacun veut faire entendre sa voix.

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