Coup d’éclat légendaire mais frustrante carrière : Les Nuits Magiques de “Toto” Schillaci

Parfois, vous êtes touché par la grâce. Lors d’un instant, d’un match ou d’une compétition. Cette semaine, nous retraçons l’histoire de cinq joueurs qui ont surperformé, durant un court laps de temps. Le troisième épisode de notre série est consacré à Salvatore Schillaci. Le Sicilien a fait rêver toute l’Italie le temps d’un été qui l’a propulsé dans la légende du football. Sans jamais confirmer.

Avant, il n’y avait eu qu’une petite sélection. Après, il n’y aura qu’un petit but. Mais au milieu, il restera une inoubliable parenthèse. Le souvenir éternel d’un Sicilien que personne n’imaginait voir à la grand-messe du football. Encore moins porter l’Italie jusqu’aux demi-finales de son Mondial. Et surtout pas laisser une trace indélébile dans l’histoire de la Coupe du monde. Salvatore Schillaci n’était même pas dans l’album Panini original d’Italia 90. Mais il fallait un héros pour faire vibrer la Botte entière au son de “Notti Magiche” (Nuits Magiques), l’autre nom de l’hymne mythique du “Mondiale”. Et ce coquin de destin a choisi le plus improbable.

Schillaci n’en avait même pas l’allure. Avec son physique plutôt ingrat et son regard inévitable, il aurait plus facilement endossé le rôle d’homme de main pour un chef de la mafia. Mais le cinéma attendra. “Toto” joue au football à l’aube de l’été 1990. Il est encore méconnu. Ses faits d’arme jusque-là ? Quelques années dans les divisions inférieures avec Messine avant un titre de meilleur buteur de Serie B qui lui a ouvert les portes de la Juventus en 1989. Puis il explose sous le maillot bianconero. Meilleur buteur de la Juve en Serie A (15 buts) et en Coupe de l’UEFA (4 buts), il est l’homme fort au soutien d’une Vieille Dame balbutiante.

Schillaci boucle sa première saison dans le championnat qui vient de glaner les trois Coupes d’Europe à la quatrième place du classement des buteurs. Derrière Marco van Basten, Roberto Baggio et Diego Maradona. On retient assez facilement un nom qui arrive juste après un tel trio, peut-être encore plus quand il est novice à ce niveau. Azeglio Vicini l’a retenu. Le sélectionneur de la Squadra Azzurra a son idée en tête quand il lui donne sa première cape au printemps face à la Suisse. Schillaci sera l’invité de dernière minute. Celui qui viendra compléter le noyau dur d’un groupe italien sous pression extrême avant une Coupe du monde devant son public. Une bouffée d’air frais salvatrice. Ce sera un vent de folie.

Merci Vicini !

Si le monde entier connaît Schillaci, c’est bien grâce à Vicini. Cela n’aurait pas fait scandale si le buteur de la Juve avait été laissé de côté tant le sélectionneur transalpin regorgeait de munitions en attaque. Il dispose des stars “jumelles” de la Sampdoria, Gianluca Vialli et Roberto Mancini. Il peut aussi s’appuyer sur Andrea Carnevale, le troisième homme du trio infernal de Naples avec Diego Maradona et Careca. Il a encore Roberto Baggio, la petite merveille de la Fiorentina. Et derrière ce carré d’as, Aldo Serena, pourtant meilleur buteur de la Serie A avec l’Inter en 1989, fait déjà la cinquième roue du carrosse.

En rajouter une sixième ne semblait pas essentiel. Mais Schillaci est bien dans la liste de l’Italie pour “sa” Coupe du monde. Le choix du sélectionneur transalpin en surprend plus d’un. Mais “Toto” a son idée sur la question. “La hiérarchie était bien définie, mais il (Vicini) avait compris que j’avais quelque chose en plus à ce moment-là, dira le Sicilien. Que je pouvais être l’arme secrète de l’Italie. Alors il m’a lancé dans le bain sans la moindre crainte, d’abord en amical (face à la Suisse au printemps 1990, NDLR), puis face à l’Autriche, pour le premier match de la Coupe du monde. Il a risqué de me faire jouer et aujourd’hui je ne sais pas qui oserait faire pareil.”

Azeglio Vicini, Getty Images

Azeglio Vicini, Getty Images

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Vicini est allé au bout de son idée. Et la magie a pu opérer. En ce 9 juin 1990, le scénario est tellement classique que l’épilogue en devient imparable. Carnevale mange la feuille à trois reprises en première période. Et quand la feinte géniale de l’attaquant italien met la défense autrichienne hors de position, c’est le poteau qui vient s’opposer à la frappe de Carlo Ancelotti. Vialli, attendu comme le messie par tout un peuple, se démène comme un beau diable mais la réussite fuit le buteur des Doriani. La fin du match approche. Baggio, Mancini et Serena piaffent d’impatience sur le banc. Mais au moment d’envoyer un attaquant à l’échauffement, Vicini choisit Schillaci.

“Tu vas marquer, Toto”

“Toto” n’y croit même pas. “Je lui dis, ‘Mister, vous parlez vraiment de moi ?“, demande le Sicilien à son sélectionneur. Stefano Tacconi, doublure du gardien Walter Zenga et coéquipier de Schillaci à la Juve, lui lance : “Tiens-toi prêt, parce que tu vas bientôt entrer et marquer… Une tête comme John Charles.” 76e minute. Vicini appelle son numéro 19. “Tu vas rentrer et tu vas marquer, Toto“, glisse-t-il à l’oreille de son attaquant. “Je pensais à tout, je ne comprenais plus rien, j’étais tellement excité“, se souvient le Sicilien. Schillaci remplace un Carnevale dépité. Il aura à peine le temps de réaliser ce qui lui arrive.

Le Palermitain n’a pas touché son premier ballon que Vialli sollicite un long une-deux avec Roberto Donadoni. Excentré côté droit, l’attaquant de la Samp s’arrache pour contourner son défenseur et redresser son centre. Il est parfait. Le ballon tombe exactement entre les deux golgoths de la charnière autrichienne. Au milieu, Schillaci leur rend facilement vingt centimètres. Mais qu’importe la taille quand on a l’instinct. “Toto” est juste au bon endroit, au bon moment. Il s’élève et catapulte le ballon sous la barre d’un coup de boule magistral. Le Stade Olympique chavire et son Sicilien aussi. “Je courais comme un fou après le but, se souvient-il. L’aventure du Mondial a commencé comme ça.

Salvatore Schillaci inscrit le but de la victoire de l’Italie face à l’Autriche à la Coupe du monde 1990

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Cinq jours plus tard après la victoire sur l’Autriche (1-0), l’Italie s’en remet à un but plein de classe de Giuseppe Giannini pour venir à bout des Etats-Unis (1-0). Mis sur orbite par une inspiration magique de Vialli, le Petit Prince de Rome fait parler toute sa technique pour placer une frappe victorieuse au premier poteau. Schillaci entre en jeu en seconde période, encore à la place de Carnevale. Il ne marque pas cette fois-ci. Sa reprise de la tête ne trompe pas Jan Stejskal sur un centre de Donadoni. Qu’importe. L’Italie valide son billet pour les huitièmes de finale avant son troisième match de poule face à la Tchécoslovaquie. “Toto” s’apprête à remonter sur scène. Cette fois, il ne lâchera plus le premier rôle.

L’heure du duo Schillaci-Baggio

Vicini change son attaque pour affronter les Tchèques. Exit le duo Vialli-Carnevale, place à la paire Baggio-Schillaci. Banco. “Toto” ouvre la marque en renard, au deuxième poteau, en reprenant une volée écrasée de Giannini à l’entrée de la surface après un corner. Et Baggio inscrira l’un des plus beaux buts de la Coupe du monde 1990 pour sceller la victoire italienne (2-0), au terme d’un fabuleux exploit individuel. Vicini est définitivement convaincu, comme tant de sélectionneurs qui finissent par changer leur fusil d’épaule en cours de tournoi. L’heure de Vialli et Carnevale est passée. Schillaci et Baggio conduiront l’attaque italienne pour démarrer le deuxième tour. C’était le bon choix.

Roberto Baggio et Salvatore Schillaci, les deux buteurs de l'Italie face à la Tchécoslovaquie à la Coupe du monde 1990

Roberto Baggio et Salvatore Schillaci, les deux buteurs de l’Italie face à la Tchécoslovaquie à la Coupe du monde 1990

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L’Italie galère quand même face à l’Uruguay en 8e de finale. Les Transalpins ne trouvent pas l’ouverture jusqu’à la 65e minute. Baggio trouve Serena qui décale astucieusement Schillaci. Plein axe, à 20 mètres du but, le Sicilien ne se pose pas de question et arme une frappe puissante du pied gauche en première intention. Le ballon lobe Fernando Alvez et termine sa course sous la barre du but uruguayen. Rome exulte. Serena ajoutera un deuxième but en fin de rencontre pour assurer la victoire de la Squadra Azzurra. L’Italie se qualifie pour les quarts de finale. Le rêve d’un sacre dans son jardin pour un quatrième titre mondial embrase la Botte. Schillaci n’a pas fini d’en être le grand protagoniste.

L’Eire vient se dresser devant la formation de Vicini. Cette fois, l’Italie se met rapidement sur la voie de la victoire. Encore grâce à Toto, son héros. Quand Pat Bonner repousse mal une frappe puissante de Donadoni, le Sicilien est toujours là, à point nommé. D’un geste plein de sang-froid, il ouvre son pied droit et place le ballon dans l’angle opposé du but irlandais. La Squadra Azzurra tiendra son maigre avantage jusqu’au bout de la rencontre. La voilà aux portes de la finale. Schillaci est propulsé au rang de héros national. Comme un empereur romain. Oui, mais l’Italie doit quitter la capitale. Sa demi-finale a lieu à Naples. Dans l’antre de Diego Maradona, face à l’Argentine, championne du monde en titre.

Et Caniggia passa par là…

La pression de l’enjeu a-t-elle fini par rattraper Vicini ? Bizarrement, le sélectionneur choisit de remodeler son attaque. Schillaci reste en poste, évidemment. Mais à ses côtés, Vialli est préféré à Baggio. Le pari semble payant dans un premier temps. “Toto” est au départ de l’ouverture du score italienne. Il sera aussi à l’arrivée. Au bout d’une action à une touche de balle, le Palermitain se retrouve encore au bon endroit pour reprendre un ballon repoussé par Sergio Goycoechea sur une tentative de Vialli. L’Italie mène 1-0. Avec son cinquième but du Mondial, Schillaci est plus que jamais son héros. Mais le chemin est encore long jusqu’à la finale. Même avec un Sicilien qui marche sur l’eau, il sera trop long.

Salvatore Schillaci trompe Sergio Goycoechea et ouvre le score pour l’Italie face à l’Argentine, en demi-finale de la Coupe du monde 1990

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Sur sa route, la Squadra Azzurra tombe sur Claudio Caniggia. Quand “le fils du vent” jaillit au premier poteau pour devancer Walter Zenga et dévier de la tête un centre de Julio Olarticoechea, l’Italie concède son tout premier but dans cette Coupe du monde. Elle ne s’en remettra pas. Dans la séance des tirs au but, c’est un autre héros inattendu de ce Mondial qui s’illustre. Goycoechea repousse les tentatives de Donadoni et de Serena pour envoyer l’Albiceleste en finale. Schillaci ne faisait pas partie des tireurs. “J’avais une douleur musculaire à la jambe et j’étais fatigué, alors j’ai pensé que c’était préférable de le laisser à quelqu’un en meilleure condition que moi, un joueur meilleur sur les penalties, a-t-il expliqué par la suite. Je ne suis pas un bon tireur de penalty.

Cette nuit ne sera pas magique. C’est un cauchemar pour tout un pays. Schillaci la vit comme un cataclysme. “C’est comme si un immense immeuble tout entier m’était tombé dessus, reconnaîtra-t-il dans une interview pour Four Four Two. J’ai passé plus de deux heures dans le vestiaire à fumer, je pleurais. C’était comme si quelque chose nous avait glissé entre les doigts, la déception et la tristesse étaient énormes. J’aurais été prêt à rendre mon trophée de meilleur buteur pour avoir celui de la Coupe du monde.” Mais “Toto” avait encore ce dernier défi à relever.

Le clin d’œil de Lineker

Avec cinq buts au compteur, l’attaquant de la Juve a besoin de trouver encore une fois le chemin des filets pour devancer le Tchèque Tomas Skuhravy et enlever la couronne de meilleur buteur de la Coupe du monde. Dans ce match pour la troisième place face à l’Angleterre, Baggio est de retour pour l’accompagner en attaque. La star de la Viola signe un premier but magistral avant l’égalisation de David Platt. Et quand Schillaci obtient un penalty en fin de match, il s’approche de son coéquipier, lui glisse quelques mots à l’oreille, lui adresse une petite tape amicale et laisse l’offrande au Sicilien. “Toto” ouvre son pied, Peter Shilton part de l’autre côté. Le sixième but est là. La couronne de meilleur buteur aussi.

Toto Schillaci trompe Peter Shilton sur penaltu et devient le meilleur buteur de la Coupe du monde 1990

Toto Schillaci trompe Peter Shilton sur penaltu et devient le meilleur buteur de la Coupe du monde 1990

Crédits Imago

L’Italie boucle son Mondial sur une bonne note en prenant la troisième place (2-1). Et Schillaci vient d’assurer la sienne dans la légende du football. Pour l’éternité. A défaut d’avoir guidé la Squadra Azzurra au titre mondial, il restera le meilleur buteur d’une Coupe du monde. Cela vaut bien un tour d’honneur sous les applaudissements du public de Bari. En chemin, “Toto” doit s’arrêter. Il est interpellé par Gary Lineker. L’Anglais oublie un instant la déception d’un podium qui s’échappe pour venir le féliciter. Il avait lui aussi terminé meilleur buteur d’une Coupe du monde. C’était quatre ans plus tôt, au Mexique. Le témoin vient de passer.

En un sens, c’est le point final de la carrière de Schillaci. Et quelque part, c’est aussi improbable que de l’avoir vu remporter un titre de meilleur buteur d’une Coupe du monde. Parce que Schillaci vient d’être l’individualité la plus marquante d’un Mondial après avoir été l’homme fort de la Juventus en championnat. Il terminera l’année civile à la deuxième place du classement du Ballon d’Or, seulement derrière Lothar Matthäus. Le Sicilien vient alors de fêter ses 26 ans. Il a tout l’avenir devant lui pour confirmer sa fulgurante ascension parmi les icônes du football. Mais il avait bel et bien atteint le sommet de son art. Et il était arrivé si haut que la suite ne peut que ressembler à une chute vertigineuse.

La décision vient d’en haut

Le retour sur terre est brutal. Schillaci ne marque quasiment plus avec la Juve. Il a aussi droit à un traitement de faveur, du genre de ceux que l’on réserve aux plus grandes stars dont il fait désormais partie. Comme face à Bologne, où il subit les provocations de Fabio Poli. Excédé, Schillaci mime le geste de le tuer avec un revolver et suscite la polémique. Il en sera de même quand il en viendra aux mains avec Baggio, passé de la Fiorentina à la Juve entre temps, après une mauvaise blague. L’arrivée de Vialli dans le club piémontais sonnera le glas. “Toto” est prié de plier bagages, direction l’Inter.

Salvatore Schillaci sous le maillot de l’Inter, en 1992

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Chez les Nerazzurri, c’est encore pire. Malgré des débuts prometteurs, Schillaci voit de nombreux obstacles s’opposer à son désir de rebondir. Les blessures viennent le contrarier, les tifosi aussi. Une partie du public milanais le prend en grippe. Après avoir unifié l’Italie le temps d’un été, “Toto” en incarne désormais les conflits culturels et la rivalité entre le Nord et le Sud de la Botte. Le Sicilien joue de moins en moins et doit se résoudre à l’exil. En 1994, Schillaci devient le premier Italien à jouer au Japon. Il enfile les buts comme des perles durant trois ans au Jubilo Iwata. Le tout dans le plus grand anonymat.

La magie est définitivement retombée. Et ce qui résume le mieux l’éphémère Schillaci, c’est finalement ce qui lui a donné toute sa gloire : sa carrière internationale. Il a connu la dernière de ses 16 sélections en septembre 1991, face à la Bulgarie. Seulement un an et demi après sa première apparition sous le maillot italien face à la Suisse. C’est court. Et dire qu’il a trouvé le moyen, en ce laps de temps, de faire rêver tout un peuple dans une Coupe du monde à domicile dont il a terminé le meilleur buteur. “Personne ne pouvait imaginer que cela m’arriverait, a-t-il reconnu. Il y a des périodes où un footballeur peut tout faire. Il lui suffit derespirer et le ballon rentre. Pour moi, cet état de grâce a coïncidé avec la Coupe du monde. Là-haut, quelqu’un a décidé que Toto Schillaci serait le héros d’Italia’90.

Le Sicilien n’a pas eu la carrière que son immense Mondial appelait. Qu’importe. Il a voyagé, de Messine à Palerme, du Sud au Nord de la Botte, de l’Italie au Japon. Sa notoriété lui a permis de faire quelques apparitions dans des séries de télévision. Il a finalement endossé ce rôle de chef de la “mafia” pour faire comme Robert De Niro, “son idole“. Il ne regrette rien. “Ma carrière, d’une certaine manière, a duré trois semaines, jugea-t-il dans son autobiographie. Mais je ne les échangerais pour rien au monde contre des titres.” Elle a été fugace, mais elle l’a porté au-delà de ce qu’il pouvait imaginer. Et bien plus loin encore. Les nuits magiques de Schillaci, cela restera pour toujours un magnifique voyage dans le temps.

La joie de Salvatore Schillaci après son but face à l'Eire, en quart de finale de la Coupe du monde 1990
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