Décisif en sélection, discret en club : y a-t-il deux Memphis Depay ?

En difficulté après un excellent passage au cœur de l’automne avec l’OL, Memphis Depay a réussi une semaine canon avec la sélection des Pays-Bas. Plus en confiance et plus libéré au sein d’un environnement différent ? Sans doute, mais le rendement du Néerlandais est aussi lié au rôle qui lui est confié sur le terrain.
Trois buts et autant de passes décisives en l’espace de trois jours avec sa sélection, un but et une passe depuis la nouvelle année avec son club. Sur le plan statistique, le constat est sans appel : actuellement, Memphis Depay est plus à l’aise loin de Lyon. Et, si on analyse l’ensemble de la saison, les chiffres sont encore plus sévères. Apparu vingt-sept fois en Ligue 1, le Néerlandais a marqué quatre de ses six buts et réalisé cinq de ses sept passes décisives entre la 10e et la 15e journée.

Ce coup de chaud, intense mais court, avait alors été accompagné de performances de haut niveau en Ligue des champions. De quoi confirmer que son repositionnement en pointe, lancé en sélection puis repris par Bruno Genesio, convenait à ses qualités, même face à une opposition relevée. De quoi aussi lui donner des envies d’ailleurs, lui qui a déjà côtoyé des superstars à Manchester United et cache moins que ses partenaires (et les footballeurs en général) son ambition d’aller voir plus haut. Plusieurs mois plus tard, la déception est donc à la hauteur des espoirs suscités.

Ecole de jeu néerlandaise
Lors de cette trêve internationale, Memphis Depay a pourtant rappelé qu’il n’était pas subitement devenu mauvais. Au sein d’une sélection encore en reconstruction mais bien pourvue en joueurs de qualité (De Ligt, Van Dijk, De Jong ou Wijnaldum sont tous titulaires dans des équipes encore en lice en Ligue des champions), il est le leader offensif en charge de tous les coups de pied arrêtés et l’élément le plus décisif. Impliqué sur les six buts des siens, il a fait valoir ses deux principales qualités : l’instinct et le pied.

L’instinct, c’est ce jaillissement sur une passe en retrait pour ouvrir le score face à la Biélorussie, cette talonnade vers Wijnaldum pour faire le break ou ce tir soudain dans la surface allemande pour égaliser. Le pied, ce sont ces centres après des corners à deux qui trouvent la tête de Van Dijk lors du premier match et De Jong lors du second. Des gestes réalisés à proximité de la cage adverse avec une seule ambition : aboutir immédiatement. Car si Memphis est capable de créer des décalages, son vrai talent est d’exploiter ceux qui existent. D’être en bout de chaîne, en position de marquer ou de faire marquer.

Memphis Depay, Georginio Wijnaldum
Memphis Depay, Georginio WijnaldumGetty Images

Et c’est là que les principes des Pays-Bas et le talent de ceux chargés de les appliquer font toute la différence. Face au bloc bas de la Biélorussie comme face au pressing allemand, les hommes de Ronald Koeman ont joué au sol pour créer des décalages en faisant voyager le ballon d’un côté à l’autre du terrain. Très sûrs techniquement et formés dans des académies où la prise de risque dans la passe est encouragée peu importe le poste, les Néerlandais arrivent généralement dans le camp adverse sans que les attaquants n’aient besoin de venir en renfort. L’adversaire a alors deux choix : densifier le milieu pour couper les offensives à leur source mais risquer l’égalité numérique derrière, ou se replier pour faire en sorte que cette maîtrise soit stérile. Dans les deux cas, le numéro 9 néerlandais reste dans sa zone de confort devant et ne décroche que s’il a de l’espace entre les lignes.

Lors de cette semaine internationale, Memphis a confirmé une tendance forte : il n’a pas toutes les qualités d’un meneur de jeu moderne, en tout cas pas au plus haut niveau. Contre la Biélorussie, qui a choisi l’option repli, il a régulièrement dézoné pour s’éloigner d’une surface où les espaces étaient rares. Dos au jeu, il s’est contenté de petites remises qui font vivre le ballon et permettent à ses partenaires de permuter. Et, une fois de face, il a souvent fait le mauvais choix en arrivant dans la zone plus dense, tentant des passes en profondeur ou des dribbles difficiles face à une défense en surnombre… et sans toujours faire l’effort pour récupérer immédiatement le ballon.

Question de timing
“Un mauvais joueur n’est pas mauvais parce qu’il tire dans son propre but, mais parce que lorsque vous le mettez sous forte pression, il perd le contrôle du ballon.” Le jour où il a dit cette phrase, Johan Cruyff ne pensait évidemment pas à Memphis Depay, qui est d’ailleurs tout sauf un mauvais joueur. Mais c’est dans ce rapport au temps que se trouve la clé du problème rencontré par le Lyonnais : quand il est en privé, il réagit comme un attaquant plutôt que comme un meneur. Là où Nabil Fekir pense conservation, lui pense élimination. Là où un joueur de construction saura temporiser, lui voudra accélérer. Une attitude essentielle dans la surface mais qui peut être dangereuse plus bas sur le terrain.

Face à Barcelone, dans une double confrontation européenne où il était très attendu, le Néerlandais a été bloqué dans une situation qu’il n’apprécie pas. Son équipe privée de ballons, il a dû courir après, lui qui n’a ni l’endurance ni le mental d’un marathonien. Et, quand elle l’a récupéré, il s’est souvent retrouvé au milieu du bloc barcelonais, forcé de réagir vite et de faire le geste juste pour lancer des transitions au lieu de partir en profondeur pour les réceptionner.

Memphis Depay au Camp Nou
Memphis Depay au Camp NouGetty Images

Embêtés par un pressing allemand tout aussi agressif la semaine dernière, les Pays-Bas ont fait un autre choix que l’OL : laisser leur buteur très haut, quitte à le couper provisoirement de ses partenaires, et résoudre le problème collectivement. Plus précis dans la construction, plus audacieux dans le pressing, ils ont inversé le rapport de force au fil du match, remontant logiquement deux buts de retard avant de s’incliner sur le fil. Ce n’est pas Memphis qui est allé au ballon mais le ballon qui est allé à lui, le bloc néerlandais évoluant de plus en plus haut au fil des minutes.

Problème de concurrence
Jouer pour son attaquant de pointe, c’est donc aussi savoir jouer sans lui, faire en sorte qu’il ne vienne participer que si la situation le permet. Avec une génération émergente talentueuse, biberonnée à des principes de création d’espaces avec le ballon et bien coachée, les Oranje ont un avantage intrinsèque dans la manière dont ils préparent leurs attaques. Et ce n’est sans doute pas un hasard si Ryan Babel, milieu offensif trentenaire dont la carrière n’a jamais vraiment décollé, réussit à garder sa place en sélection et produit des performances plus que correctes. Ni si Memphis Depay, qui peut permuter avec les joueurs de couloir, est préféré à des joueurs de surface comme Luuk de Jong, auteur de 21 buts en Eredivisie mais moins mobile.

Emerge alors un parallèle avec Dries Mertens, prédécesseur du Lyonnais sur l’aile gauche du PSV. Replacé en pointe par défaut mais avec succès par Maurizio Sarri à Naples, au sein d’une équipe obsédée par la phase préparatoire, il est désormais obligé de s’adapter au jeu de Carlo Ancelotti. Comme Moussa Dembélé à l’OL, son concurrent Arkadiusz Milik amène de la présence et des buts à une formation qui aime centrer. Peu importe le statut et les statistiques du passé, il faut alors s’adapter et soutenir au mieux un partenaire plus en réussite – ou plus adapté au système.

Pour Memphis Depay, cela passe par un exil sur l’aile. Un endroit où il a ses habitudes, en atteste le but marqué contre Toulouse en repiquant dans l’axe sur son pied droit, mais où il peut être déconnecté du jeu et gâcher une partie de son talent. Le sien est d’être un détonateur-finisseur, qui réussit parce qu’il est dans des équipes qui l’autorisent à rater. Une concession que Lyon, parfois fragile dans l’entrejeu et en quête permanente du meilleur système, n’est pas actuellement pas prête à faire.

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