Fermeture des marchés à bétail – le virus de la famine menace les bergers sénégalais et leurs familles (Par Sadidou Sow)

Dans d’autres circonstances, la vidéo envoyée par le cousin sérère m’aurait fait rigoler toute la journée; on y voit des vendeurs de bétail portant des moutons et courant péniblement pour échapper aux gendarmes venus les disperser.

La scène a été filmée récemment dans un village du Sénégal où les autorités administratives ont décidé, depuis plusieurs semaines, de fermer les marchés à bétail pour empêcher la propagation du coronavirus. Même si j’ai répondu à la vanne de mon « gammu », Diogomaye, par un émoticon souriant, je n’ai pas pu m’empêcher de repenser aux longues conversations que j’ai eues avec des parents bergers concernant la gravité de la situation qu’ils vivent actuellement.

En effet, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, l’une des premières mesures prises par l’État a été de fermer les fameux « daral », ces marchés à bétail où les éleveurs vendent leurs animaux. Rappelons que cette vente, qui est hebdomadaire  dans la majeure partie des cas, est très souvent la seule source de revenu pour ces bergers. A cela s’ajoute le fait que, même pour les rares pasteurs qui s’adonnent à l’agriculture pluviale, les récoltes de céréales ont été catastrophiques dans une bonne partie du pays à cause du mauvais déroulement de l’hivernage 2019. Donc nous pouvons aisément imaginer, dans le contexte actuel, la précarité dans laquelle ces populations pastorales se retrouvent. Compte tenu de ces faits, il devient extrêmement difficile de trouver des justifications valables à la fermeture des « daral » dans la mesure où une telle initiative équivaut à priver ces compatriotes du monde rural de leur unique gagne-pain. C’est bien beau de demander aux gens de se laver fréquemment les mains avec du savon. Encore faudrait-il qu’ils aient les moyens d’acheter des vivres avant même de penser au savon.

Le traitement infligé à ces éleveurs et à leurs familles est d’autant plus scandaleux que, partout dans le pays, les autres marchés (au poisson, légumes…) les magasins, les transports en commun et même certaines mosquées continuent à recevoir du monde. Pour la propagation du virus, en quoi le marché à betail de Keur Momar Sarr ou Dahra Djolof est-il plus dangereux que les marchés Sandaga ou Tillène à Dakar?

Depuis la fermeture des marchés à bétail, des centaines de milliers de Sénégalais sont en train de mourir de faim dans le monde rural juste parce qu’ils ont choisi l’élevage comme profession. S’ils avaient opté pour la vente de poisson, de chaussures, de portables, de greffages etc…Ils auraient pu continuer à exercer leurs activités, ne serait-ce que pendant la journée, pour gagner leur vie. Mais actuellement, ils sont obligés de souffrir silencieusement dans les villages et hameaux en attendant que l’État du Sénégal se rappelle à leur bon souvenir. Et cela risque d’attendre; après tout, les élections ont été reportées.

Dans son discours du 23 mars sur le covid-19, le Président Macky Sall a annoncé qu’il va dégager « une enveloppe de 50 milliards pour l’aide alimentaire d’urgence .»  A la date de cette annonce, cela faisait déjà 13 jours que certains marchés au bétail étaient fermés. Au moment où nous écrivons ces lignes, ces centaines de milliers de bergers, à qui l’administration sénégalaise à coupé le seul moyen de subsistance, n’ont pas encore reçu l’aide alimentaire promise. Si cette situation perdure, le coronavirus ne trouvera personne à tuer dans ces villages; la faim, ou faminavirus, aura déjà fait le boulot.

Dr. Sadibou SowSeaside, Californie Usa

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