Frank Timis : investir en Afrique et pour l’Afrique

SD-Media a rencontré Frank Timis, investisseur hors du commun d’origine roumaine, très présent en Afrique, en particulier dans le secteur minier. Un entretien-portrait recueilli en anglais par Farid Merabet, dans lequel cet homme d’affaires qui déplace des montagnes se livre sans ambages…

M. Frank Timis, vous êtes né en Roumanie, et vous avez investi en Australie, au Canada, en Ukraine, en Grèce, en Russie par exemple… Pourquoi vous êtes vous tourné vers l’Afrique?

Frank Timis : Mon premier projet africain était un investissement en Sierra Leone pour SLDC. A cette époque, la Sierra Leone se remettait à peine d’une guerre civile et était l’un des pays les plus pauvres du monde. Cependant, il était riche en ressources et avait beaucoup de potentiel non réalisé. De nombreuses sociétés minières ont essayé et échoué à mener leurs projets à terme.
J’ai apporté un investissement important et nous avons changé d’orientation : nous souhaitions exploiter une mine de diamants et ce fut finalement le minerai de fer ! Nous avons développé le projet Tonkolili en 32 mois avec 2,7 milliards de $ d’investissements pour atteindre dans un temps record un taux de production de 20 Mtpa, la construction d’une mine, d’une voie ferrée, d’un port adapté, des infrastructures, pour exploiter le minerai de fer exporté en Chine. « African Minerals » est devenu le plus grand employeur privé du pays et la Sierra Leone a atteint son PIB historique le plus élevé nous avons prouvé l’efficacité de cet investissement en Sierra Leone et démontré notre capacité d’exécution.
Malheureusement, la convergence d’événements malheureux tels que : la volatilité des prix du minerai de fer, l’épidémie d’Ebola, et la divergence des intérêts de nos partenaires chinois a travaillé contre nous à la fin. Néanmoins, personne ne peut critiquer nos réalisations en Sierra Leone. Nous avons construit le plus grand projet minier et les infrastructures qui y étaient liées en Afrique ; nous avons réussi là où d’autres groupes miniers majeurs avaient échoué pendant des années. Pour moi personnellement, mon succès réside dans la fierté que nos employés locaux avaient à porter nos chemises « African Minerals », la fierté qu’ils retiraient d’appartenir à une entreprise qui changeait leur pays. J’étais ému en voyant les habitants se précipiter pour voir le train passer devant leur village (un spectacle inconnu de la plupart d’entre eux en Sierra Leone) apportant de l’espoir et des opportunités qui n’existaient pas auparavant.
Voilà ce que j’aimais et aime toujours. L’Afrique de l’Ouest est riche en culture et les gens ont faim d’éducation, de travail, de stabilité et de croissance économique. Je veux créer des opportunités, je veux construire des projets et débloquer les ressources et la richesse afin que les peuples de l’Afrique de l’Ouest puissent avoir accès à tout cela. Je veux que les nouvelles générations aient toutes les possibilités de voir leurs enfants grandir dans l’Ouest africain.

Quand vous comparez les pays africains où vous avez choisi d’investir et les autres continents, qu’est-ce qui vous frappe, en positif comme en négatif?

Frank Timis : Tout d’abord j’aime les gens d’Afrique de l’Ouest, leur hospitalité et leur joie de vivre. J’aime le défi de travailler dans la région, j’aime l’impact positif que vous pouvez avoir par votre travail et la création d’un solide héritage pour les générations futures. Il est formidable de travailler dans d’autres continents, mais souvent la bureaucratie y est étouffante. Les gouvernements africains sont aussi difficiles, mais je vois cela comme un processus d’éducation et de renforcement des relations durables qui apportent des avantages multi-générationnelles : comment pouvez-vous ne pas apprécier le fait que vous avez accompli un changement pour un si grand nombre? L’Afrique de l’Ouest a une place spéciale dans mon cœur et c’est pourquoi j’y investis toute mon attention et ma foi. Naturellement, il y a des difficultés, mais j’apprécie le défi de les surmonter.

En outre, nous travaillons sur un partenariat avec Portel et GTD, deux entreprises espagnoles qui se spécialisent dans le guichet unique pour le commerce grâce à la gestion informatique du transport maritime et du port. Ces entreprises apportent des outils de transparence et de bonne gouvernance tout en ajoutant une valeur substantielle grâce à l’optimisation des systèmes de contrôle. Je crois que le prochain défi pour l’Afrique occidentale sera la transparence et la bonne gouvernance pour attirer les bons investisseurs et réduire les freins qui existent sur tous les fronts à commencer par les tracasseries administratives. Si cela ne peut être atteint ou si au moins des progrès ne peuvent être obtenus, les investisseurs éthiques dont l’Afrique a besoin vont déserter le continent en laissant un espace à la corruption, qui stérilise le développement.

Pour vous, celui qui investit en Afrique porte-t-il une responsabilité particulière?

Frank Timis : Oui absolument. L’Afrique est riche en ressources, mais l’exploitation de ces ressources doit revenir à la population – elles sont leur patrimoine et c’est leur droit d’en récolter en priorité les bénéfices. Il incombe à tout investisseur de veiller à ce que la corruption et la politique soient mises de côté et la richesse distribuée de telle sorte que l’homme du commun puisse mettre de la nourriture sur la table, éduquer ses enfants, et avoir accès à des services que nous prenons pour acquis en Occident. Ceci est notre responsabilité en tant qu’investisseurs – nous ne possédons pas les richesses du sous-sol, nous en sommes les gardiens pour les peuples africains.

Concrètement, quels exemples d’actions « responsables » ou « durables » pourriez-vous nous donner?

Frank Timis : J’ai conçu et réalisé des projets dans sept pays d’Afrique de l’Ouest et la durabilité a toujours été une priorité. En Sierra Leone, nous avons investi massivement dans la réhabilitation et la construction de nouvelles écoles et de centres médicaux. En outre, nous avons énormément investi dans les infrastructures de l’eau pour assurer l’eau potable dans les zones de Tonkolili et de Pepel tout entières, ainsi que dans plusieurs autres collectivités locales, ce qui est une priorité définie par l’ONU. Pour lutter contre l’une des maladies tropicales les plus meurtrières, le paludisme, nous avons distribué des dizaines de milliers de moustiquaires et le soutien réglementaire pour les nouveaux tests de dépistage du paludisme d’âge adulte. J’ai soutenu et parrainé le Championnat de la Ligue Premier Freetown et certaines compétitions nationales et internationales associées. Dans l’esprit de la participation communautaire, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les chefs et les communautés locales. Nous avons tenu des réunions hebdomadaires avec eux pour connaître leurs points de vue et certaines de leurs suggestions ont été mises en application. Nous voulions créer un environnement d’ouverture et de transparence. Nous ne voulons pas être la grande entreprise indifférente aux besoins des gens – nous voulions que les gens du pays pour faire partie du projet, s’y sentent impliqués – que ce soit grâce à des emplois, des projets communautaires, l’éducation, l’accès à des services médicaux, une distribution de la nourriture toute l’année ou le dialogue – vous ne pouvez connaître le cœur des gens, si vous ne les écoutez pas.

Au Burkina Faso, nous avons des projets similaires et récemment terminé la réhabilitation d’un barrage important qui avait craqué et n’était plus capable de retenir l’eau pour désaltérer le bétail. La remise en état du barrage a eu un énorme impact bénéfique sur les communautés locales. Sur l’ensemble de mes projets en Afrique de l’Ouest, nous assurons des programmes de distribution de denrées alimentaires pour le Ramadan et pour l’Aïd, afin d’assurer la fourniture adéquate de produits de base tels que le sucre, le riz, la farine et d’autres nécessités. Nous investissons également dans de nombreux projets de fourniture en équipements sociaux tels que les centres de santé, le logement et les salles communautaires. Nous essayons de soutenir les organismes de bienfaisance locaux car ils ont l’infrastructure, l’expertise locale, et les projets existants en place qui peuvent avoir un impact direct et immédiat. J’ai eu une relation très étroite et solidaire avec l’association « Child of Sierra Leone » qui est impliquée dans l’éducation et le soin des enfants des rues et des anciens enfants soldats en Sierra Leone. Grâce à « African Minerals », beaucoup de ces enfants ont eu la possibilité d’étudier et de se promouvoir. Je suis un grand défenseur de l’autonomisation des jeunes et nous avons soutenu des activités telles que des concerts de musique, le développement des talents, des bourses, des stages, des programmes universitaires et de réhabilitation des espaces publics. La vraie valeur durable au pays ne sera atteinte que lorsque les populations locales auront un emploi intéressant. Ma vision est la même dans tous les pays où je travaille : avoir assez d’employés locaux formés pour faire le travail dans le pays et réduire nos équipes d’expatriés.

Quels sont pour votre groupe les pays prioritaires en termes de développement d’affaires?

Frank Timis : Le Sénégal et l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble. Nous avons récemment signé un partenariat avec Tanger Med Engineering au Maroc pour nous aider dans le développement de notre quai dans le port d’Abidjan et aussi dans le développement de notre terminal vraquier du port de San Pedro en Côte d’Ivoire. Notre partenariat stratégique avec Portel et GTD pour le commerce portuaire et aussi la gestion de l’efficacité énergétique à travers l’Afrique de l’Ouest confirme également notre intérêt et intentions à long terme dans la région.

Quels sont les secteurs dans lesquels vous voudriez vous déployer encore en Afrique?

Frank Timis : Je suis ouvert aux opportunités. Mon prochain objectif est de fournir à l’Afrique de l’Ouest une énergie durable et propre à faible coût et également de renforcer l’efficacité du secteur agricole actuellement mal exploité.

Vous connaissez bien l’Afrique désormais, auriez-vous une leçon économique à donner à ses politiques ou à ses citoyens?

Frank Timis : Je pense que nous pouvons tous apprendre, peu importe qui nous sommes, peu importe l’âge ou le titre. J’ai tant appris de la population de l’Afrique ! Je me souviens quand je suis allé en Sierra Leone, il n’y avait rien : aucune infrastructure, pas d’activités. J’étais choqué par une certaine instabilité après la guerre civile, mais ce qui m’a frappé le plus et reste avec moi aujourd’hui est la découverte des sourires : tout le monde sourit. Vous ne voyez pas les gens malheureux – vous avez vu des gens souriants, le sourire des enfants… Vous savez pourquoi ? Parce qu’ils avaient de l’espoir. J’ai adoré leur esprit, leur refus d’abandonner. J’ai utilisé cet espoir pour construire un projet colossal en un temps record, avec plusieurs milliards $ d’investissements. Nous avons investi plus de 5 milliards $ en Afrique de l’Ouest à ce jour et cela continue. Qu’est-ce que j’ai appris et que je veux transmettre ? C’est que notre succès fut fondé sur l’établissement de relations et de partenariats entre toutes les parties et groupes intéressés – « African Minerals », le Gouvernement de la Sierra Leone, les communautés locales et leurs chefs, nos employés locaux et expatriés et nos entrepreneurs – c’est tous ensemble que nous avons rendu possible ce qui paraissait jusque là impossible !

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