KOLDA : 3 000 BŒUFS MALADES ET 200 MORTS

Après une dizaine de minutes de route, nous voilà à Sibéré Koyo, un village de la commune de Dioulacolon, situé à 4 km à l’est de la commune de Kolda. Dans ce village, un silence de cathédrale règne. Les habitants sont dans le désarroi total. Plusieurs bêtes sont tuées par la fièvre aphteuse, et la maladie risque de décimer tout le cheptel.

Lundi 13 août 2018. Il est 17 h 00 mn. Pour toucher ce phénomène du doigt, nous nous rendons dans quatre troupeaux différents du même village.

Ibrahima Sow est l’un des propriétaires, tous éleveurs et cultivateurs. Ce vieux de 57 ans dit avoir découvert la maladie cette année. A ses dépens ! ‘’Dans l’intervalle d’une semaine, j’ai enregistré cinq bœufs morts de la maladie. Au début, on constate que le corps de l’animal est chaud, il a les poils hérissés. Le lendemain, la gueule de l’animal se ferme, il a des plaies dessus et ne peut pas l’ouvrir pour manger. Il marche en bavant. Quelque temps après, il maigrit. Les vaches n’arrivent plus à allaiter. Faute de lait, les veaux n’ont que quelques heures de vie’’, explique cet homme qui compte dans son troupeau 130 bœufs, une cinquantaine de moutons et une dizaine de chèvres. ‘’Présentement, la quasi-totalité des bêtes sont touchées par cette maladie’’, ajoute-t-il inquiet.

Après le troupeau d’Ibrahima Sow, cap sur celui de Moussa Baldé, âgé de 52 ans. Sur les lieux, un veau de 2 ans et un autre de 1 an souffrent de la maladie. ‘’Ça fait deux jours qu’ils ne mangent pas. Ils ont la gueule fermée et quand c’est comme ça, ils ne peuvent plus manger. Regardez de l’autre côté, mes deux bêtes viennent de mourir’’, pointe-t-il du doigt les cadavres. En dehors des bœufs, il dit avoir perdu 15 petits ruminants depuis le début de l’hivernage. ‘’Mes moutons et chèvres mourraient, mais on ignorait que c’était cette maladie-là. C’est maintenant qu’on l’a su’’, lance-t-il d’un ton résigné.

Troisième étape, le troupeau d’Abdoulaye Sow, 58 ans. Plusieurs signes anormaux apparaissent chez les bovins atteints de cette maladie : plaies à la bouche, langue infestée, sabots fendus… Le tout dégage ainsi une odeur nauséabonde. Les animaux maigrissent et se déplacent péniblement. ‘’C’est la semaine passée que la maladie est apparue dans mon troupeau. J’ai déjà enregistré la mort de deux taureaux et de deux veaux. Regardez ces trois autres vaches, elles sont atteintes. En attendant que les vétérinaires viennent, je leur donne de la farine de niébé et du miel pour atténuer la maladie. S’agissant de leur survie, on s’en remet à Dieu. Voyez cette vache, depuis qu’elle a mis bas, elle n’a pas assez de lait pour allaiter son veau, à cause de la maladie’’, se désole-t-il.

L’espoir des éleveurs repose sur le bétail

A la question de savoir si les cycles de vaccination des animaux sont respectés, l’éleveur Abdoulaye Sow a laissé entendre que les bœufs sont vaccinés à deux reprises avant l’arrivée de la saison des pluies. ‘’La semaine dernière, je devais cultiver avec ces taureaux que vous voyez là. Malheureusement, ces animaux de trait sont atteints de la maladie. Mais ça va maintenant’’, soupire-t-il.

Dans le troupeau de Mamadou Salif Sow, un éleveur de 56 ans, il y a 129 têtes de bœuf. Selon le propriétaire, les animaux ont été vaccinés pendant la saison sèche. Ce qui n’a pas empêché les dégâts. ‘’Depuis l’apparition de la maladie dans mon troupeau, quatre bœufs sont morts de la pathologie. Et quinze sont atteints. Parmi ces derniers, il y a des vaches, des taureaux et des veaux’’, gémit-il. Faute d’une solution étatique, les éleveurs essaient de lutter avec les moyens du bord. ‘’Nous achetons les médicaments auprès d’un vétérinaire à Kolda. Nous les mélangeons avec du sel pour le mettre dans la bouche du bœuf en grattant sa langue avec. Depuis une semaine, c’est ainsi que nous traitons nos bêtes’’, explique-t-il. L’homme dit avoir fait tout le nécessaire en termes de vaccination. Mais rien n’y fait.

En fait, le mal est assez général. Partout où nous sommes passés, le constat est le même. La quasi-totalité des bœufs, des vaches et des veaux sont atteints de la maladie. Plusieurs signes anormaux apparaissent. Et pour le moment, la pathologie est partie pour semer la désolation dans ce village et, au-delà, dans cette partie du Sénégal.

‘’Pas d’inconvénients à consommer la viande d’un bœuf malade’’

En effet, en plus de l’élevage, ces bœufs sont aussi des bêtes de somme. ‘’Notre espoir repose sur ces bœufs. Et si aujourd’hui cette maladie décime le cheptel, c’est dire que nous allons galérer’’, se lamentent les éleveurs. Ces derniers nous ont expliqué qu’ils ont tenté de vacciner leurs bœufs avec des produits, mais cela n’a pas empêché d’autres de crever. ‘’Nous cherchons, par tous les moyens, à traiter nos bœufs. Ils sont notre espoir. Sans eux, nous ne pouvons ni cultiver ni manger, encore moins subvenir aux besoins de nos familles. C’est avec ça qu’on peut se nourrir et se soigner, inscrire nos enfants à l’école et acheter leurs fournitures scolaires, etc.’’, ont-ils martelé.

Impuissants, ils demandent aux autorités de les aider à atténuer les effets de la maladie. Certains, à l’image de Samba Baldé, ne voient pas d’inconvénients à consommer la viande des bœufs contaminés. D’ailleurs, à notre arrivée, il venait juste de dépecer un bœuf atteint de la maladie. Ce vieux s’est déjà fait sa religion. ‘’De tout temps, quand un animal est malade, nous le tuons et nous consommons sa viande. Mais si les vétérinaires nous disent de ne pas le faire, nous suivrons leurs conseils’’, se défend-il.

Le département de Vélingara enregistre 150 bêtes mortes

Pour en savoir davantage sur cette maladie qui décime le cheptel, il faut se rendre à l’Inspection régionale de l’élevage de Kolda. L’inspecteur Dr Mohamed Moustapha Sarr précise que sur l’ensemble de la région, il y a trois mille bœufs malades, pour 200 morts enregistrés. Selon lui, le département de Vélingara est le plus touché, avec 150 bœufs décédés. ‘’Ce sont les communes de Kandia, de Saré Collé Salé, de Némataba et de Vélingara qui sont les plus touchées’’. Dans le département de Médina Yoro Foula, les localités les plus atteintes par la fièvre aphteuse sont les communes de Bignarabé et de Koulinto.

Dans le département de Kolda, par contre, c’est presque toutes les communes qui sont concernées. Celles de Bagadadji, de Mampatim, de Guiro Yéro Bocar et de Salikégné sont les plus touchées, ajoute-t-il.

‘’La fièvre aphteuse est dûe à une maladie virale qui n’a pas de traitement spécifique’’

Le patron de l’élevage au Fouladou affirme que la fièvre aphteuse est causée par un virus. C’est ‘’une maladie très contagieuse qui se transmet rapidement’’, ajoute-t-il. ‘’Toutes les mesures sont en train d’être prises. Les prélèvements sont en train d’être faits au laboratoire de l’Isra pour que nous puissions identifier quelle est le stéréotype circulant. C’est le Dr Alpha Diallo qui s’en occupe. Hier même, je lui ai parlé au téléphone, il m’a dit qu’ils sont en train de faire le traitement’’.

Pour le moment, il n’y a pas ‘’de régime spécifique’’, soutient-il. De ce fait, présentement, un traitement symptomatique anti-prévention est fait afin de lutter contre les complications liées à la maladie. ‘’Nous mettons l’accent sur les mesures de biosécurité. A l’issue des résultats de l’Isra, si on a le profil de ces stéréotypes, rapidement, on va passer à l’offensive’’, promet-il.

‘’Techniquement, il n’y a pas de danger à consommer cette viande’’

A propos de la viande, il n’y a aucun risque, assure Dr Mohamed Moustapha Sarr. ‘’Techniquement, je ne vois pas de danger’’, affirme le spécialiste. Selon lui, une fois que l’organisme est mort, le virus ne peut pas survivre, puisqu’il ne vit que dans les cellules vivantes.

Pour les animaux, par contre, le danger est réel et il faut des mesures préventives. ‘’Vu le caractère très contagieux de la maladie, il faut enfouir et même incinérer les carcasses. Il faut également isoler les animaux malades, les mettre en quarantaine pour limiter tout risque de propagation de la maladie, en attendant que les agents prennent les mesures nécessaires’’, a-t-il conseillé.

Cependant, disent les éleveurs, ces mesures[MT1] sont difficiles à appliquer. En fait, les animaux déjà atteints partagent avec les autres les mêmes points d’abreuvage et de pâturage.

En attendant des solutions pour bouter cette maladie hors de la région de Kolda, la fièvre aphteuse continue sa randonnée macabre.

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