Le bateau hôpital « Le Mercy ships travaille en toute illégalité »

L’arrivée du bateau “Africa Mercy’’ de l’organisation internationale non gouvernementale Mercy Ships depuis le 14 août 2019, est une aubaine pour les Sénégalais souffrant de maladies compliquées. Mais la pratique de ces professionnels “ambulants’’ de la santé bute sur leur non-inscription dans les institutions ordinales du Sénégal. Ce qui relève de l’illégalité, selon la loi 66-69 du 4 juillet 1966 relative à l’exercice de la médecine.C’est le 1er octobre 2017 que le gouvernement du Sénégal et l’organisation internationale non gouvernementale Mercy Ships ont paraphé un protocole de partenariat. Celui-ci a permis l’arrivée, en 2019, du plus grand bateau hôpital du monde à Dakar, le “Mercy Africa’’. A travers ce protocole, l’organisation est tenue de mettre à la disposition de l’Etat du Sénégal son navire hospitalier pour une durée de 10 mois. Le bateau a accosté au port de Dakar, le 14 août dernier, pour apporter gratuitement divers soins médicaux à des personnes démunies, sélectionnées dans tout le Sénégal.Ainsi, l’espoir est né dans le cœur de 3 000 patients venant de toutes les régions du pays. Long de 150m, ce bateau-hôpital a 9 étages. Il comporte en son sein un hôpital ultra moderne avec 5 salles d’opération, des scanners. Il traitera 7 types de chirurgies spécifiques : les tumeurs faciales, les opérations de la cataracte, les opérations des goitres, les becs de lièvre pour les enfants, les fistules, les problèmes de dents. Tout semblait rouler comme sur des roulettes, sauf qu’un acte fondamental a été omis par les professionnels de ce bateau, pour mieux accomplir leur mission : l’inscription dans les différents ordres du Sénégal. C’est-à-dire à l’Ordre des médecins, l’Ordre des pharmaciens et celui des chirurgiens-dentistes (Inter-ordre). La loi 66-69 du 4 juillet 1966 relative à l’exercice de la médecine stipule qu’un professionnel étranger dont son diplôme n’est pas homologué au Sénégal, doit obligatoirement s’inscrire dans l’ordre auquel il appartient pour pouvoir exercer dans le pays.L’autre dérogation de la loi est que lorsque les besoins de service public l’exigent, le ministre de tutelle peut, sur délibération de l’ordre après inscription, donner l’autorisation à un médecin étranger d’exercer au Sénégal. Sinon, il est dans l’exercice illégal de la médecine. Des dispositions que Mercy Ships n’a pas respectées, faisant dire à l’Inter-ordre que l’Ong travaille en totale illégalité, avant de mettre le ministère de la Santé et de l’Action sociale (Msas) et le gouvernement en face de leurs responsabilités.“Aucun de ces professionnels ne s’est inscrit au niveau des institutions ordinales’’Selon le président de l’Inter-ordre, par ailleurs président de l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal, Docteur Amath Niang, les institutions ordinales sont investies d’une mission de contrôle de régularité et du respect du devoir professionnel des acteurs de la santé. C’est en ce sens que chaque ordre a été contacté par le ministre Abdoulaye Diouf Sarr, en vue de partager l’information selon laquelle ce bateau serait présent au Sénégal et qu’il veut qu’on les inscrive. Une décision qu’ils ont saluée, du point de vue de l’importance de la mission qu’il va accomplir pour les populations. Mais, le problème se pose en termes de légalité, de régularité d’autorisation. Alors que, souligne le pharmacien, la loi est claire : nul ne peut exercer une profession médicale sans être inscrit à l’ordre auquel il appartient. “Nous avons été tous mis devant le fait accompli.On s’est rendu compte qu’aucun de ces professionnels ne s’est inscrit au niveau des institutions ordinales. Quand le ministre a interpellé, les ordres ont a réagi sur l’obligation de les inscrire. C’est le minimum à faire. Parce qu’on doit s’enquérir de la qualité de leur statut, de leur compétence et avoir une traçabilité par rapport à leurs origines. Ce, pour voir si ce sont des gens qui ont l’habitude d’exercer chez eux, pour un besoin de sécurité, de prudence et de contrôle par rapport aux actions à mener’’, explique Dr Niang.A son avis, il est tout à fait normal qu’ils puissent vérifier la qualité de diplôme, d’exercice et le respect des conditions d’exercice de leurs pays d’origine. Mais, à ce stade, on se demande sur quelle base ces gens se sont permis d’exercer sans que tous ces préalables soient remplis.“Ce qui est sûr est que, si ce bateau devait opérer dans les pays développés, il remplirait toutes les conditions des ordres avant d’exercer’’, fustige-t-il. Dans la même veine, le vice-président de l’Inter ordre et président de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, Docteur Mamadou Kâ, soutient qu’ils sont dans une situation ambigüe. Avant de détailler les nœuds du problème. “Le ministère nous a adressé une correspondance pour demander si nous pouvons inscrire ces personnes de façon temporaire dans les différents ordres. Nous leur avons indiqué les conditions d’exercice dans ce pays. Ce sont des conditions de cotisation à l’ordre et des dossiers à nous donner. On veut que ces personnes qui vont exercer dans ce pays puissent au moins disposer de leur diplôme pourqu’on sache qui est qui. Ceci dans l’intérêt des populations. C’est la réponse que nous avons donnée au ministre’’, informe Dr Kâ.“Si le gouvernement et le ministère veulent aller en infraction de cette loi’’Après une longue période d’attente, explique le chirurgien-dentiste, le ministère a envoyé une réponse disant qu’ils ont une convention entre l’Etat et ce bateau. Par conséquent, ils ne sont pas obligés de payer une cotisation ordinale. ‘‘Nous lui avons dit qu’il n’y a pas de problème pour la cotisation ordinale, mais qu’il nous en voie les dossiers. Jusqu’à ce jour, il n’a pas répondu. Un beau jour, on nous invite à la cérémonie de l’arrivée du bateau. Nous avons refusé d’y aller’’, précise Dr Kâ. Sans tenir compte du premier refus, le ministère a encore envoyé des cartons d’invitation aux différents ordres pour une autre cérémonie avec Mercy Ships, le 3 septembre. Cette fois-ci, ils ont décidé d’y aller pour voir de quoi il s’agit réellement. Une fois sur les lieux, leur déception fut grande, par ce que la cérémonie ne parlait pas de médecine. “J’étais avec le président de l’Ordre des médecins. Ils ont complètement ignoré les ordres dans tout ce qui se faisait. La rencontre était plus politique qu’autre chose. Nous avons quitté les lieux, parce qu’on ne comprenait pas du tout ce qui se passait’’, dit Dr Kâ. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Si l’Inter-ordre a pris la décision d’assister à cette rencontre, c’est parce qu’il a cru que le ministère et Mercy Ships voulaient profiter de l’occasion pour discuter de la façon dont ils doivent s’inscrire avant d’exercer. Mais que nenni. Sur ce, les institutions ordinales, après réunion, ont préféré ignorer complétement ce bateau et laisser le gouvernement prendre ses responsabilités.“ On trouve que ces personnes travaillent en toute illégalité’’.En plus de cela, a dit le vice-président de l’Inter-ordre, il ne maitrise rien du personnel de Mercy Ships. Car,on leur a dit que ce sont des personnes qu’on recrute en fonction de leur temps libre. Qu’ils viennent pour 2, 3, voire 4 mois. Ils ne sont pas permanents dans le bateau. “C’est vraiment du n’importe quoi. Nous sommes régis par une loi. Les ordres coiffent le ministère et nos avis sont conformes. Si le gouvernement et le ministère veulent aller en diffraction de cette loi, ils n’ont qu’à prendre leurs responsabilités pour les conséquences qui risquent d’arriver par rapport à ce type d’exercice. Le ministère pense que les avis des ordres sont consultatifs, alors que dans tous les pays du monde, les avis sont conformes. Alors que sur les textes, c’est faux’’, dénonce-t-il.‘‘Est-ce qu’ils ne sont pas en train de faire de la chirurgie expérimentale ? Personne ne sait’’Embouchant la même trompette, docteur Abdoulaye Diop, membre de l’Ordre des médecins du Sénégal, insiste sur le fait que la pratique de la médecine relève exclusivement des ordres. Donc, tout ce que Mercy Ships fait au Sénégal, est en parfaite illégalité. “Les ordres, c’est des lois. La loi qui institue les ordres est au-dessus du décret qui a nommé le ministre de la Santé. Nous avions averti le ministère, l’année dernière. Il était même dans de bonnes dispositions pour amener les gens de Mercy Ships à s’inscrire aux ordres. Mais, au dernier moment, ils se sont repliés. La pratique de la médecine n’est ni politique ni administrative, c’est une loi qui est dans la Constitution du Sénégal’’. A son avis, ce n’est même pas élégant que des praticiens viennent exercer dans un pays, sans voir leurs homologues. D’ailleurs, dit-il, ce sont ceux de Mercy Ships qui devaient refuser cela. Parce que, après, ce sont les hôpitaux sénégalais qui vont hériter de ces malades. “On ne sait pas par quelle qualité ces gens exercent. Est-ce que réellement ce sont des médecins ? Personne ne peut contrôler ce qu’ils font. Alors que s’ils étaient inscrits, l’Inter ordre va envoyer des superviseurs pour voir ce qu’ils font dans ce bateau. Est-ce qu’ils ne sont pas en train de faire de la chirurgie expérimentale ? Personne ne sait. Aujourd’hui, on ne peut arrêter quelqu’un pour pratique illégale, parce que l’Etat est l’instigateur de cette pratique’’.Par ailleurs, l’Inter-ordre est intrigué du nombre de malades que l’Ong va traiter sur la durée de leur séjour : 3000 patients sur 10 mois, soit 10 malades par jour. Une statistique qui fait que, même l’hôpital le plus reculé au Sénégal traite plus de malades que Mercy Ships.

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