Le Groenland, un carrefour géostratégique pour les États-Unis

Donald Trump a confirmé, dimanche, vouloir acheter le Groenland au Danemark. Une intention révélatrice de l’intérêt croissant des États-Unis pour l’Arctique face à l’influence grandissante de la Chine et de la Russie.

“C’est une grosse transaction immobilière.” C’est avec cette désinvolture que le président des États-Unis, Donald Trump, a qualifié dimanche 18 août son envie d’achat du Groenland au Danemark, dont l’île de près de 2,1 millions de km² est une province semi-autonome. Un intérêt qui témoigne de la prise de conscience américaine de l’importance du Groenland mais aussi, plus largement, de toute la région arctique face aux rivaux russes et chinois.

“C’est quelque chose dont nous avons parlé”, a déclaré l’ancien magnat de l’immobilier lors d’une conférence de presse. “Le concept a surgi et j’ai dit que stratégiquement, c’est certainement intéressant et que nous serions intéressés, mais nous parlerons un peu” avec le Danemark, a poursuivi le président, précisant que ce n’était pas “la priorité numéro un” pour son gouvernement. Il doit se rendre dans le pays scandinave les 2 et le 3 septembre pour une visite d’État.

C’est le quotidien économique The Wall Street Journal qui a révélé le premier le 15 août que le président américain s’était “montré à plusieurs reprises intéressé par l’achat” de ce territoire qui compte quelque 56 000 habitants et en avait parlé à ses conseillers à la Maison Blanche. Le milliardaire s’est notamment renseigné sur les ressources naturelles et l’importance géopolitique de la région.

Une région riche en ressources

“Le Groenland est riche en ressources précieuses (…). Nous sommes prêts à faire des affaires, pas à vendre” le territoire, avait immédiatement réagi le 16 août le ministère groenlandais des Affaires étrangères sur Twitter.

“L’essentiel des ressources du Groenland se situe sur les 20 % de ses terres non recouvertes par la glace et sur son territoire maritime. Les ressources halieutiques [issues de la pêche, NDLR] issues de ce dernier constituent 90 % des exportations et de la richesse créée par le Groenland. À cela, il faut ajouter les ressources minières et pétrogazières”, explique Mikaa Mered, professeur de géopolitique et d’économie des mondes polaires à l’Institut libre d’étude des relations internationales (Ileri), interrogé par France 24. “Selon une étude américaine de 2008, en matière de ressources pétrogazières, le Groenland disposerait de 31 milliards de barils équivalents pétrole (soit 15 % des réserves de l’Arabie saoudite). Mais dans le même temps, malgré les explorations menées depuis trente ans, aucun champ exploitable commercialement n’a été découvert. C’est le défi du Groenland : trouver un filon concentré pour qu’il en devienne exploitable commercialement.”

“Cependant le but affiché par l’administration Trump pour ce rachat n’est pas l’exploitation des ressources naturelles”, avertit le spécialiste des mondes polaires.

Un intérêt géostratégique historique

L’intérêt des Américains n’est pas tant économique que stratégique. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les États-Unis tentent d’acheter la province danoise pour satisfaire ses intérêts. Le gouvernement américain a déjà tenté à deux reprises de s’approprier le Groenland : en 1867, où il avait tenté de l’acquérir dans un “lot” qui comprenait aussi l’Islande, et en 1946, avec une proposition à 100 millions de dollars du président Harry Truman.

“Si le Groenland, d’un point vue identitaire, politique et culturel, est davantage tourné vers l’Europe de par sa colonisation danoise, d’un point de vue géostratégique, il est plutôt une masse nord-américaine. Depuis les années 1940, le Groenland est même vu par le Pentagone comme le premier rideau de défense naturel pour la côte Est des États-Unis”, explique Mikaa Mered.

“Durant la Seconde Guerre mondiale, le Groenland a été utilisé comme un relais stratégique Est-Ouest par les États-Unis et le Canada pour l’Europe. À la fin du conflit, les stratégistes américains ont développé la théorie des deux piliers arctiques de la défense des États-Unis : le pilier Ouest, l’Alaska détenu par les Américains, et le pilier Est, le Groenland, où il a été négocié l’installation de la base militaire de Thulé. L’intérêt est donc loin d’être nouveau pour les décideurs américains.”

L’Arctique, nouvel objectif des États-Unis

Ces derniers mois, l’administration américaine semble redécouvrir l’intérêt stratégique de l’Arctique. Outre la visite présidentielle au Danemark, le vice-président, Mike Pence, doit aussi se rendre début septembre en Islande pour “élargir les opportunités commerciales” et “renforcer la sécurité dans la région arctique”. Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a participé en mai en Finlande à une réunion du Conseil de l’Arctique. Son discours a été considéré comme un tournant dans l’implication de Washington dans cette partie du monde.

“Les États-Unis redécouvrent leur frontière Nord en Arctique“, estime Mikaa Mered. “Durant la Guerre froide, elle était matérialisée par la banquise et militarisée. Puis, avec la fonte des glaces et la fin de la guerre, le focus sur l’Arctique a changé. Il est devenu environnemental et scientifique alors que dans le même temps les Russes militarisent cette partie de leur territoire pour la rendre viable commercialement. Ces dernières années, c’est devenu un motif d’inquiétude dans les cercles de réflexion américains.”

“Dans l’ère Trump, l’engagement pour des raisons environnementales ou scientifiques porte peu, surtout dans l’électorat du président. Il faut donc trouver autre chose”, avance le chercheur. “Donald Trump se recentre donc sur le stratégique, le militaire, et le besoin d’identité nationale.”

La Chine, qui dispose d’une licence pour une mine de terres rares au Groenland, fait figure de bouc-émissaire parfait : “La Chine est typiquement l’épouvantail dont Trump a besoin pour justifier un engagement. La Russie ne suffit pas”, explique Mikaa Mered. “Cet intérêt de Trump pour le Groenland peut être vu comme un coup pour l’hégémonie globale dans la lutte d’influence qui l’oppose à la Chine.”

Une proposition totalement irréaliste

S’il s’avère que Donald Trump ambitionne réellement d’acheter l’île, il devra convaincre les Groenlandais de passer sous la tutelle américaine. En effet, depuis 2009, l’île dispose d’un statut semi-autonome. Il peut décider à n’importe quel moment de devenir indépendant puis, le cas échéant, de vendre un bout de territoire ou de se rattacher à un pays, explique Mika Mered. Mais les autorités locales comme de tutelle ont déjà fermement refusé le scénario.

“Les Groenlandais ne veulent pas passer d’une tutelle danoise à une autre, qu’elle soit chinoise ou américaine”, rappelle Mikaa Mered. Et de conclure : “Le scénario d’une vente reste totalement improbable.”

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