Ligue 1 : ce que nous réservent les nouveaux investisseurs

Bientôt, le fonds d’investissements GAPC, avec Joseph DaGrosa à sa tête, va prendre possession des Girondins de Bordeaux. Depuis 2011 et le rachat du Paris Saint-Germain, Monaco, l’OM, Lille et donc probablement Bordeaux ont vu arriver de nouveaux propriétaires. Ils n’ont pas tous les mêmes idées… Ni les mêmes ambitions.
Depuis de nombreuses années maintenant, les clubs de football sont rachetés par de nouveaux investisseurs. En France, le Paris SG a remis cela à la mode en 2011. C’est l’Émir du Qatar, par le biais de Qatar Sport Investment (QSI) qui a raflé la mise. Depuis, l’Olympique de Marseille, Lille, mais aussi, dernièrement les Girondins de Bordeaux ont vu arriver de nouveaux hommes forts. Si les cas du PSG, de Monaco et de l’OM sont différents, ceux de Lille et de Bordeaux, en France, se rapprochent plus du modèle de l’AC Milan et plus historiquement, de Manchester United. Alors, qui sont ces nouveaux investisseurs ?

« L’arrivée de GACP est l’exemple type d’une évolution récente du football, sa financiarisation, avec un objectif simple : profiter de l’explosion des revenus, des transferts et des droits du foot pour faire des profits conséquents », explique Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport, mais aussi auteur de « Géopolitique du sport, une autre explication du monde ». C’est ainsi qu’on peut introduire ces nouveaux venus qui utilisent un tout nouveau système d’achat : l’achat à effet de levier (AEL, plus connu sous le terme de LBO : leveraged buy-out).

Différents modèles
« L’exemple le plus spectaculaire de LBO dans le football est celui de Manchester United, qui avait été acheté par la famille Glazer en 2005 grâce un endettement de grande ampleur. Les risques sont simples : pour qu’un LBO marche, il faut que le club acheté soit suffisamment bénéficiaire pour rembourser la dette. S’il ne l’est pas, l’endettement grossit et cela peut mener à la faillite », analyse Bastien Drut, spécialiste de l’économie du football et auteur de quelques ouvrages sur ce sujet.

Mais, à l’image de clubs qui ne sont pas bénéficiaires, contrairement aux Red Devils, cela peut être plus compliqué. C’est là où entrent en piste les sujets que sont Bordeaux et Lille. « C’est déjà basé essentiellement sur le trading de joueurs puisqu’ils n’ont pas vraiment d’autres possibilités de monter ce genre d’opération sans compter des retours sur investissements via les transferts. Ils font des calculs relativement simples. Ils constatent que le nombre de transferts internationaux augmente en nombre et en chiffres. On est sur du 300% en termes d’augmentation. Donc, si on fait un calcul à court terme, comme c’est le cas de ces investisseurs, on se dit “pourquoi on n’en bénéficierait pas aussi ?” », détaille de son côté Maître Thierry Granturco.

Ainsi, le club lillois a montré sa capacité à agir sur le marché des transferts en recrutant d’une part des jeunes joueurs français, mais aussi d’autres espoirs sud-américains. Les Dogues se placent désormais comme l’un des acteurs majeurs du recrutement des joueurs de moins de 18 ans comme peuvent en témoigner les achats de Rafael Leão (Sporting CP) ou encore plus récemment de Ferhat Cogalan, le jeune franco-turc qui évoluait jusqu’alors au Valencia CF.

Bordeaux et Lille : le marché des transferts comme levier ?
On a pu observer, l’année passée, Gérard Lopez investir massivement sur le marché des transferts. Le but étant relativement simple : revendre avec plus-value si possible. « Pour les clubs de taille intermédiaire, la principale stratégie pour être bénéficiaire concerne le marché des transferts. On constate ces dernières années une hausse du prix des transactions pour les clubs. Il est clair que certains investisseurs achètent des clubs pour pouvoir les revendre plus cher. Soit en anticipant que les prix de marché (pour les clubs) grimpent, soit en ayant une stratégie définie pour rendre le club plus rentable », développe Bastien Drut.

Par conséquent, ces propriétaires qui n’ont pas toujours acheté avec leurs fonds personnels, mais plutôt grâce à des emprunts, se retrouvent dans une position délicate s’ils ne performent pas sur le trading de joueurs. « Vous avez des traders qui ne veulent rien construire du tout. Ce sont des gens qui descendent dans le milieu du foot et qui veulent des retours sur investissements vite. Ils ne peuvent pas construire comme ça. Quand on voit Gérard Lopez, il va probablement vendre Bamba et Pépé, s’il ne le fait pas en janvier, il le fera l’été prochain, il va encaisser tout ce qu’il peut encaisser et il continuera l’année d’après, en espérant avoir deux-trois joueurs. Il n’a aucune envie de construire. Pour moi, c’est un trader. On le retrouverait dans d’autres secteurs. Ces investisseurs, ils vont faire un maximum de cash, jusqu’au jour où ils décideront que maintenant ils peuvent vendre le club avec une grosse plus-value », explique l’avocat Thierry Granturco, de son côté, opposant ces projets à ceux d’un Frank McCourt à l’OM par exemple.

Peu d’effets positifs pour les clubs
Plaçons-nous quelque peu du côté des supporters d’un club. À quoi doivent-ils s’attendre ? Si beaucoup rêvent d’actionnaire fort, comme peut l’avoir le club de la capitale, peu seront satisfaits au final par ce nouveau type de propriétaire pour des raisons relativement simples. « Du point de vue du club, les avantages sont limités. Les propriétaires cherchent avant tout la rentabilité financière. Les Glazer ont fait sortir des caisses d’United 1 milliard en intérêts, dividendes, en commissions en tout genre depuis 2005. Cet argent aurait pu servir à construire un effectif plus compétitif et peut-être à mieux lutter contre Manchester City ces dernières années », nous souffle Bastien Drut lorsqu’on l’interroge sur le sportif.

Mais l’inquiétude ne gagne pas que les supporters. On a pu observer la grogne monter du côté des municipalités. Longtemps, la vente de l’OM a été soumise aux bons vœux du maire Les Républicains Jean-Claude Gaudin. L’Édile a finalement adoubé Frank McCourt, cela a aussi été fait à Lille et plus récemment à Bordeaux où la Métropole a quand même tenu à interroger Joseph DaGrosa, le futur propriétaire des Girondins. « Vu des municipalités, évidemment que ça inquiète. Je me mets à la place aujourd’hui d’Alain Juppé, ça ne doit pas rassurer un maire de ville qui a un stade et des supporters sur les bras », soupçonne Thierry Granturco.

Les risques sont mesurés, mais bien présents
Bastien Drut l’explique plus haut, le risque principal, c’est la faillite. C’est là qu’entrent en jeu d’autres paramètres. Le premier concerne le sportif et Lille, l’année passée, aurait pu craindre le pire. « C’est quand même fortement dépendant de la réussite sportive. Les nouveaux investisseurs dont on parle, eux, c’est des cas isolés transformés en règle générale. Je comprends de leur point de vue, ils ne prennent pas énormément de risques, sauf à se retrouver dans la situation des Lillois la saison dernière, où sportivement on se bat pour ne pas descendre, c’est sûr que la valeur des joueurs en prend un coup », se souvient l’avocat au barreau de Paris et de Bruxelles.

Entrent en jeu, ainsi, de nouveaux acteurs de ce jeu si particulier. Depuis quelques mois maintenant, on entend parler de fonds vautour (comme peut l’être le fonds Elliott Management). En d’autres termes, ce sont eux qui prêtent l’argent au départ et qui peuvent, potentiellement récupérer le club (puisque nous parlons d’écuries de football ici) si les échéances de remboursement ne sont pas respectées. Depuis le 11 août 2018, le fonds américain s’est désengagé peu à peu du LOSC et donc ne pourrait jamais avoir la main sur les Dogues, laissant souffler un peu Gérard Lopez.

« Vous avez énormément de portes et de fenêtres à ouvrir pour protéger les uns et les autres »
« Juridiquement, vous avez différentes manières de vous rembourser. Vous pouvez dire que les parts du club ne vous intéressent pas, vous pouvez donc assigner celui qui a levé les fonds en remboursement. Soit vous prenez, dans l’acte initial, en garantie, les actions du club dans lequel on a investi pour vous, de sorte que l’intermédiaire, ici le fonds d’investissement, se casse la gueule, au minimum, vous avez les actions du club dans lequel on a investi pour vous. Quand on rentre vraiment dans ces opérations-là, vous avez énormément de portes et de fenêtres à ouvrir pour protéger les uns et les autres. Mais, quand on essaie de simplifier ça, on découvre que cela ressemble étrangement à des opérations de prêts et de remboursements avec des actions de clubs en garanties », simplifie Thierry Granturco.

En d’autres termes, ces nouveaux investisseurs n’inspirent pas nécessairement confiance pour plusieurs raisons. Tout d’abord, car les fonds ne viennent pas tous du même homme et sont souvent complexes à tracer. Ensuite, parce qu’ils visent la rentabilité financière, qui n’est pas forcément en corrélation avec la réussite sportive. Ce faisant, la question de la présence à court terme des nouveaux investisseurs se pose nécessairement et bien malin est celui qui peut savoir dans quel état le club sera laissé à leur départ. Bien loin est maintenant l’eldorado des investisseurs payant tout rubis sur l’ongle avec la seule volonté de faire exploser leur formation et obtenir publicité et reconnaissance.

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