Roi d’Angleterre privé de conquête européenne : le paradoxe City décortiqué

Sacré devant les quatre finalistes européens, City n’a pas confirmé en Ligue des champions une incroyable saison en championnat. Une différence qui s’explique notamment par son style de jeu.
Un coup de tête d’Aymeric Laporte sur corner, un tir hors de la surface de Riyad Mahrez puis un coup franc d’Ilkay Gündogan. On ne sait pas s’il faut y voir un symbole, mais tout de même : dimanche à Brighton, les trois buts qui ont suivi l’égalisation de Sergio Agüero, et propulsé Manchester City vers le titre, ont été inscrits par des joueurs pas irréprochables en Ligue des champions.

Face à Tottenham, le défenseur français avait été coupable sur deux buts au retour, l’ailier algérien n’avait pas fait les bons choix à l’aller et le milieu allemand s’était souvent contenté de faire bouger le ballon sans relief. Quelques semaines plus tard, ces joueurs se sont rattrapés à leur manière, rappelant au passage que si l’élimination en C1 était évitable, elle ne s’était pas jouée que dans les têtes. Même mieux équipée que la concurrence, aucune équipe faible mentalement n’aurait fini la saison par quatorze victoires de rang sous la pression de Liverpool.

Alors comment expliquer qu’une équipe qui frôle les 100 points en championnat doive suivre à la télévision une finale de Ligue des champions entre deux compatriotes ? L’imprévisibilité des matches aller-retour est évidemment un facteur mais, après tout, le championnat est une suite de rencontres sèches et les Citizens n’en ont laissé filer aucune depuis plus de trois mois. Alors, pour trouver une réponse, il faut d’abord regarder du côté de l’approche des adversaires.

Pep Guardiola
Pep GuardiolaGetty Images

Effet de répétition
Bien documentée, l’existence d’un Big 6 en Premier League cache un autre groupe, qu’on pourrait appeler le “Little 14”. Assez proches entre elles, ces formations riches à l’échelle européenne mais incapables de lutter à armes égales avec les ténors du championnat cherchent d’abord à battre leurs concurrents. Et lorsqu’elles affrontent l’un de ces mastodontes, leur posture est généralement réactive : bloc bas, lignes resserrées et ralentissement du tempo. Cette configuration, qui ne dit pas tout de la façon dont Everton, Leicester et les autres jouent le reste du temps, est parfois subie, l’écart technique donnant logiquement le contrôle du ballon au plus fort. Elle n’en reste pas moins prévisible, la seule mission du “gros” étant de réussir à percer le coffre-fort sans s’exposer.

Depuis l’an dernier, Manchester City, souvent contré lors de la première saison de Pep Guardiola, est devenu expert dans ces oppositions. Et pour cause : amoureux du ballon, l’entraîneur catalan met en place des circuits de jeu aussi précis que rigides qui doivent libérer de l’espace tout en permettant un pressing rapide à la perte. Laisser son équipe installer le jeu en se concentrant uniquement sur le fait de bien défendre, c’est permettre aux Citizens de réciter ce qu’ils appliquent pendant la semaine sans tester le reste de leurs compétences. Chacun de ces 28 matches est alors un éternel recommencement : des dizaines de passes devant la surface adverse (avec le fameux circuit milieu qui percute, appel de l’ailier et centre en retrait) et quelques pertes de balle et coups de pieds arrêtés à bien négocier. Les jours où la balle ne veut pas rentrer, tout se complique. Mais elle rentre quasiment toujours.

Et c’est là qu’est l’un des grands enseignements de la saison de Manchester City, paradoxalement démenti par le match du titre : cette équipe, plus solide que jamais défensivement, se met très souvent en situation avantageuse. Les chiffres ? Seulement trois ouvertures du score concédées, 19 buts marqués dans le premier quart d’heure et uniquement 132 minutes passées à courir après le score. Quand le scénario est presque toujours favorable, la capacité de réaction n’est pas testée et le plan de jeu n’a pas à être changé. Avant dimanche, City n’avait pourtant pris qu’un point après avoir été mené, une situation étonnante quand on termine le championnat avec 95 buts inscrits. Et qui rend presque logique l’incertitude du quart retour face à Tottenham, débuté en position d’éliminé.

Pep Guardiola lors de City-Tottenham
Pep Guardiola lors de City-TottenhamEurosport

Stratégie patiente
Bien sûr, répondre présent face aux “petits”, notamment Cardiff et Burnley et leur jeu proche du kick and rush, est un grand atout. Mais le champion a aussi réussi contre le Big 6, remportant huit matches sur dix dont les deux face aux Spurs. Si la manière a différé d’une rencontre à l’autre, chaque “gros” ayant des caractéristiques différentes – à commencer par Chelsea, qui a gagné 2-0 l’aller et perdu 6-0 au retour avec la même approche ambitieuse –, Pep Guardiola a semblé très marqué par les défaites contre Liverpool l’an dernier.

Son équipe ayant des difficultés dans la gestion temps forts-temps faibles, il a voulu empêcher les temps faibles, donc éviter de donner des munitions à deux adversaires bien particuliers. Contre Jürgen Klopp comme contre Mauricio Pochettino, ses hommes ont ainsi fait preuve d’une étonnante prudence. S’ils ont souvent cherché à avoir la possession, le tempo était plus lent, les relances neutres et les positions basses. En baissant le risque, Guardiola trahissait une partie des principes de son jeu, où chaque passe doit déplacer le bloc adverse. Un minimalisme calculé, qui nécessite un attaquant de pointe en forme.

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Manchester City

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7:54 AM – May 13, 2019
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L’implacable machine offensive qui se veut toujours ambitieuse proposait là sa version de l’Espagne 2010, championne du monde en proposant un étonnant mélange d’actions abouties et d’interminables phases de possession défensive qui endorment le match. Ces deux adversaires s’appuyant sur le pressing et l’intensité, il fallait avant tout éviter de prendre un but qui aurait amené quelques minutes de folie. Cela a été bien fait en championnat (0-0 et 2-1 contre les Reds, double 1-0 face aux Spurs), et c’est dans cette optique qu’avait à nouveau été abordé le quart de finale aller. Très proche des rencontres de Premier League face à Tottenham dans sa physionomie, il s’était terminé sans la réussite nécessaire quand il y a aussi peu d’occasions. Et le début du retour, abordé cette fois comme un match “normal”, avait rappelé l’ampleur de la menace.

Ordre et déséquilibre
Deux fois buteur en trois minutes, Heung-Min Son lançait ce jour-là ce qui serait la thématique des demi-finales, Georginio Wijnaldum (en deux minutes) et Lucas Moura (en quatre) proposant ensuite leur propre interprétation du concept de temps fort. Et c’est là que les forces des deux finalistes de Ligue des champions, qui n’ont pas d’équivalent dans l’intensité qu’ils sont capables de mettre, rejoignent les faiblesses de Manchester City – mais aussi celles de Barcelone et de l’Ajax, autres formations qui aiment repartir de l’arrière.

A force de jouer à leur main, par abandon de l’adversaire ou par simple supériorité individuelle au cœur du jeu, Aymeric Laporte et consorts sont dans une zone de confort permanente. Les relances au sol sous pression, si risquées en cas d’imprécision technique, perdent de leur dangerosité faute de menace et d’expérience de l’erreur. Alors, quand l’adversaire profite de la dynamique d’un but pour se lancer à l’abordage et réduit le temps laissé au porteur de balle, les erreurs évitées pendant des mois peuvent s’accumuler en quelques secondes.

Se demander pourquoi Manchester City réussit en championnat ce qu’il n’arrive pas à faire sur la scène européenne, c’est finalement se questionner sur le rapport au déséquilibre. Sur la capacité de certaines équipes à enflammer un match, qualité qui nivelle les rapports de forces entre grands clubs mais devient inutile si l’adversaire refuse le jeu. Dans un football qui va de plus en plus vite, personne n’arrive à systématiquement se sortir du pressing quand il est effectué par Tottenham ou Liverpool, formations imparfaites qui mais savent imposer leur rythme et leur puissance. Cela ne les rend pas invincibles mais pose un problème différent à chaque fois, ce que n’aiment pas les machines bien réglées.

Au fond, l’anomalie n’est pas dans les résultats de Manchester City, éliminé pour quelques centimètres et qui s’est peut-être trop méfié de Tottenham en Ligue des champions tant ses périodes de contrôle pouvaient créer le déséquilibre. La vraie surprise vient plutôt de Liverpool, taillé pour l’Europe, jamais dans la course au titre l’an dernier et désormais capable de gagner de plusieurs façons. Sans victoire finale, le parcours perd forcément de sa saveur. Mais, en finissant avec 97 points et une seule défaite, les hommes de Jürgen Klopp ont envoyé un message : si automatiser son jeu est un excellent moyen d’être régulier, ce n’est pas le seul moyen de durer.

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