Seuls et fragiles face au coronavirus (2/3) : dans les centres pour sans-abri, “toute sortie est définitive”

Face à la pandémie de coronavirus, les travailleurs sociaux continuent d’accompagner les populations précaires, dont ils ont la charge. Erwan, “accueillant” dans un centre d’hébergement d’urgence, raconte comment le confinement s’est mis en place pour les sans-abri, dont il s’occupe.

“On a dû prendre des mesures drastiques”, résume Erwan*. Ce travailleur social, qui préfère rester anonyme, est “accueillant” dans un centre d’hébergement d’urgence (CHU). En temps normal, ce centre situé en Normandie accueille des familles à la rue et leur permet de passer la nuit au chaud. Cependant, face à la pandémie de Covid-19, les équipes ont dû s’adapter et revoir leur manière de fonctionner dans l’urgence.

“Le jour du confinement a été un ‘dawa’ [un grand bazar, NDLR] incompréhensible”, raconte le jeune homme d’une trentaine d’années. “Il n’y a pas eu d’anticipation”.

Ses collègues et lui ont bien tenté d’alerter leur hiérarchie dès le début du mois de mars sur une possible évolution de la situation sanitaire mais aucune réponse concrète n’avait été apportée.

“Le centre ne s’est confiné que le mercredi 18 mars, un jour après son début effectif, après avoir dressé une liste des personnes qui resteraient dans le centre”, explique-t-il.

“On a donc commencé ce confinement en prenant exemple sur nos vies personnelles. Il a fallu aider les gens à remplir leur autorisation de sortie. Mais c’est compliqué. On aide un public majoritairement d’origine étrangère, il est donc difficile de leur expliquer les directives, les consignes…”, continue Erwan. “Les gens ne prenaient pas du tout la mesure de ce qu’il se passait. Ils continuaient de sortir toute la journée. Certains partaient à 9 h pour revenir à 21 h comme si de rien n’était…”

“C’étaient les premiers jours. J’ai cru qu’on n’allait pas s’en sortir”, soupire-t-il

D’une mission d’accueil à une gestion de groupe “H 24”

Initialement, le centre dans lequel travaille Erwan est un ancien complexe de bureaux. Dans le cadre du plan hiver, il est reconverti chaque année, du 1er novembre au 31 mars, en centre d’hébergement d’urgence.

“La bonne nouvelle, c’est que le gouvernement a décidé de maintenir les centres du plan hiver jusqu’au 31 mai en raison de la crise sanitaire”, sourit Erwan. “Mais en vérité, on aurait besoin d’un autre centre, d’un autre bâtiment. Celui-ci, c’est un lieu pour dormir l’hiver. Il n’est pas fait pour être un un lieu d’accueil 24 heures sur 24.”

“Notre mission a changé du jour au lendemain. On est désormais sur du travail d’animation et de gestion de groupe”, explique le chargé d’accueil. “Avant, on recevait les gens le soir, souvent tard, on leur donnait à manger et un lit, et ils repartaient le lendemain matin. Là, on travaille sur la vie en collectivité pour la durée du confinement.”

Contraint de limiter les places

Dans ces conditions précaires d’hébergement, le centre a dû faire des choix et limiter le nombre de personnes qu’il accueille à 70 personnes fixes : “Désormais, toute sortie est définitive”, raconte Erwan.

“Comme on ne peut pas du tout respecter les règles d’hygiène et les normes de sécurité, on tente de garder tout le monde confiné en espérant qu’aucun cas ne se déclare. Par exemple, la seule vraie mesure barrière qu’on ait été en mesure d’appliquer, c’est de créer des roulements pour manger dans le réfectoire.”

“On sait qu’il reste des gens à la rue. Le 115 veut nous les envoyer pour remplir les places qui se sont libérées mais comment être sûr que la personne qui arrive n’est pas porteuse du virus ?”, interroge-t-il, inquiet.

Une autre question reste également sans réponse : “Qu’allons nous faire quand on aura le premier cas ? Il est probable que les autres hébergés le contractent dans les 24 heures qui suivent, au vu des conditions”, estime Erwan.

Selon le jeune homme, des solutions de repli sont actuellement à l’étude pour transférer les personnes saines et à risque si un cas de coronavirus venait à se déclarer. Tout n’est pas cependant noir, les autorités ont effectué quelques renforcements du dispositif. “On a eu des renforts humains. Les ressources, notamment en provenance des maraudes nocturnes, ont été déployées vers les centres. Il y a eu aussi un petit peu de moyens financiers débloqués.”

“On ne se demande pas si on va l’avoir. On se demande quand ?”

Pour parer au quotidien et poursuivre leurs missions, les animateurs sont bien mal équipés. “On a fait une demande de matériel le jour du confinement, on nous a répondu qu’on n’était pas prioritaire. Ce que je comprends : priorité aux soignants !”, explique Erwan.

L’équipe fait donc avec les moyens du bord. Ils ont retrouvé un vieux stock de masques datés d’une trentaine d’années conservés dans un sous-sol et du gel hydroalcoolique périmé. “Mieux que rien”, selon Erwan.

“On nous a aussi livré des surblouses en début de semaine dernière. Cinq tenues en XXL alors qu’on est dix, au moins, à travailler chaque jour sur le centre. Donc, ça ne sert à rien et on ne les met pas”, raconte-t-il. “De toute façon, c’est difficile de refuser les câlins avec les gamins du centre. Donc mon geste barrière, c’est de rouler en boule mes affaires et me laver en arrivant chez moi pour essayer de pas contaminer mon amie”, explique-t-il, fataliste.

“J’ai déjà plusieurs collègues malades qui pensent avoir contracté le virus. Ils ont les symptômes mais n’ont pas été testés. On ne se demande pas si on va l’avoir. On se demande quand”, lâche-t-il, résigné. “On essaie juste de repousser l’échéance au maximum pour que les collègues en congés ou bien en arrêt puissent prendre notre suite.”

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