Tareck El Aissami, un fidèle du chavisme dans le collimateur de la justice américaine

Le ministre de l’Industrie vénézuélien, poursuivi par la justice américaine, serait au cœur d’un réseau entre le Hezbollah et le narcotrafic au Venezuela, selon le New York Times.

L’étau se resserre autour de Tareck El Aissami. Compagnon de la première heure d’Hugo Chavez qui a gravi tous les échelons du pouvoir pour se hisser à la vice-présidence (2017-2018) du Venezuela sous Nicolas Maduro, Tareck El Aissami, 44 ans, est accusé dans un article du New York Times daté du 2 mai de liens présumés avec le narcotrafic, mais aussi avec le Hezbollah.

“Monsieur El Aissami et sa famille ont aidé des militants du Hezbollah à entrer dans le pays”, écrit Nicholas Casey, responsable du bureau Amérique latine pour le quotidien américain et auteur de l’article. Son enquête, qui s’appuie sur des documents fournis par des anciens agents des services secrets vénézuéliens, précise que l’actuel ministre de l’Industrie et son père recrutent au sein de la milice libanaise – considérée comme une organisation terroriste par les États-Unis – “afin de développer des réseaux de renseignement et de trafic de drogue au Venezuela”.

Un homme aux origines syro-libanaises

L’homme politique est également accusé d’avoir passé “d’importants contrats gouvernementaux avec une société appartenant à l’un des barons de la drogue vénézuéliens, Walid Makled”. Les documents détaillent notamment un paiement de près de 45 millions de dollars du baron de la drogue – condamné en 2015 à 14 ans de prison au Venezuela pour trafic de drogue et blanchiment d’argent – versé à un frère d’El Aissami.

Si ces accusations sont à prendre avec beaucoup de prudence, Tareck El Aissami fait régulièrement l’objet de vastes enquêtes menées par les médias américains sur ses liens avec le narcotrafic. A-t-il participé à la transformation du Venezuela en une plaque tournante mondiale du trafic de cocaïne et du blanchiment d’argent, comme l’affirme le Wall Street Journal dès 2015 ? A-t‑il reçu de l’argent de Walid Makled García, comme l’atteste Rafael Isea, ex-député et ex-ministre des Finances de Hugo Chavez, actuellement réfugié aux Etats-Unis ? A-t‑il assuré la venue de militants du Hezbollah comme le révélait déjà une enquête de CNN en 2017 ?

Beaucoup de rumeurs circulent sur ce personnage complexe et mystérieux né à Merida, dans l’ouest du Venezuela, et d’origine libanaise par sa mère et syrienne par son père. Ce dernier, Carlos Zaidan El Aissami, un immigrant druze de Soueïda a, selon le New York Times, travaillé avec le Hezbollah lors des ses voyages dans son pays. Son grand-oncle, Shibli El Aissami, a, lui, été vice-président de Syrie entre 1965 et 1966.

El Aissami se définit comme “chaviste radical”

Tareck El Aissami entre dans les rouages du pouvoir lors de ses études de droit et criminologie à l’université de Los Andes, où il se lie avec Anden Chavez, le frère aîné d’Hugo. Rapidement, le jeune avocat adhère aux idées d’Hugo Chavez et à la révolution bolivarienne. S’il n’a pas épousé de carrière militaire comme beaucoup de proches du président vénézuélien, ses études dans un lycée militaire l’aident à se fondre dans le milieu, estiment plusieurs observateurs.

Celui qui se définit comme un “chaviste radical” écume les différents postes clés du pouvoir : vice-ministre de la Sécurité civile (2007-2008), ministre de l’Intérieur et de la Justice (2008-2012), puis gouverneur de l’État d’Aragua (2012-2017). Très influent au sein du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), l’homme de confiance de Hugo Chavez (décédé en 2013) est nommé vice-président de Nicolas Maduro et pressenti comme son successeur.

Son ascension connait un coup d’arrêt quand, en février 2017, quelques semaines après sa nomination en tant que numéro 2 du gouvernement de Nicolas Maduro, il est sanctionné par Washington pour trafic de drogue.

Tarek El Aissami et Nicolas Maduro ont balayé ces accusations et crié à la guerre de propagande organisée par le gouvernement Trump dans l’unique but de renverser le gouvernement de gauche du Venezuela. Le gouvernement vénézuélien a rappellé que, durant son mandat de ministre de l’Intérieur, plus de 70 trafiquants de drogue ont été arrêtés et des tonnes de stupéfiants saisies.

Fragilisé, Tareck El Aissami est remercié de sa fonction de vice-président, Nicolas Maduro lui préférant Delcy Rodriguez, qui échappe pour l’instant à la justice américaine. Nommé à l’industrie, “il garde néanmoins un rôle clé au sein de la structure du pouvoir de Chavez, note dans The Global Mail David Smilde de l’Institut de l’Amérique latine à Washington (WOLA). “Ses partisans sont parfois en contradiction avec ceux de Maduro”, ajoute-t-il.

Facilitateur de trafic de drogues

Cette action en justice est “l’aboutissement de plusieurs années d’enquête visant d’importants trafiquants de drogues aux États-Unis”, indique à l’époque le Trésor américain. Le vice-président vénézuélien a “facilité la livraison de drogues au Venezuela” par le biais de son contrôle des décollages d’avions d’une base aérienne vénézuélienne, ainsi que de son contrôle des ports.

Le communiqué précise qu’il “a reçu des paiements pour avoir facilité la livraison de cargaisons de drogues appartenant au réseau vénézuélien de Walid Makled Garcia”. Arrêté en 2010 en Colombie, puis extradé vers le Venezuela en 2011, ce dernier livre des aveux aux agents américains de la DEA (l’administration pour le contrôle des drogues). Walid Makled Garcia reconnaît notamment avoir investi de l’argent auprès de Feras El Aissami, frère du vice-président dans le but de l’investir dans l’industrie pétrolière.

Trump, plus conflictuel qu’Obama

À l’époque,Tarek El Aissami n’est pas le seul dans le collimateur de la justice américaine, qui cible tous les soutiens de Nicolas Maduro : les neveux de Cilia Flores, l’épouse de Nicolas Maduro, sont inculpés pour trafic de drogue en décembre 2017 et l’ancien ministre de l’Intérieur, Nestor Reverol, fait également l’objet d’un chef d’inculpation en 2016. Ce durcissement à l’égard du clan Maduro correspond à l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche. “Il a adopté une position beaucoup plus conflictuelle avec le Venezuela que Barack Obama”, décrypte Nicholas Casey, l’auteur de l’article, contacté par France 24.

La justice américaine continue “sa lutte contre les corrompus”. En avril, Tareck El Aissami a été accusé par un tribunal fédéral à New York d’avoir violé les sanctions imposées deux ans plus tôt. Il lui est notamment reproché d’avoir eu recours à des jets privés appartenant à des sociétés américaines pour voyager en Russie, en Turquie et en République Dominicaine.

Dans le même temps, le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Jorge Arreaza, a également été mis au ban du système financier international par le Trésor américain. Il est accusé de “transférer et de cacher les recettes de la corruption en essayant d’exploiter le système financier américain et son marché immobilier”.

L’action judiciaire des États-Unis contre les hauts gradés de Maduro marque “une contre-offensive américaine colossale”, estime Janette Habel, enseignante à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine à Paris III, à France 24 . Après le soulèvement manqué de Juan Guaido début mai, “Washington va jusqu’au bout dans sa tentative de renverser le clan Maduro en engageant des poursuites”.

Les réserves pétrolières du Venezuela en ligne de mire

Avec son économie en ruine et son peuple affamé, le Venezuela est en proie à une lutte acharnée pour le contrôle du pays entre le président contesté Nicolas Maduro et le président autoproclamé Juan Guaido, soutenu par des dizaines de pays y compris les États-Unis.

Pour Janette Habel, Washington veut tout faire pour reprendre le contrôle sur ce pays qui dispose de réserves de pétrole parmi les plus importantes au monde. “Malgré sa proximité avec le Venezuela, l’influence de Washington est en net déclin alors que la Chine a la mainmise sur le pétrole vénézuélien et la Russie fournit une aide financière et militaire”, ajoute-t-elle.

Alors que les relations diplomatiques entre le Venezuela et les États-Unis sont rompues depuis janvier, Washington n’évoque pas de demande d’extradition. Mais la justice américaine maintient la pression : elle assure qu’à partir de maintenant, Tareck El Aissami devra “réfléchir à deux fois avant de quitter le Venezuela”.

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