Injustice Fiscale : Comprendre la “mafia” autour des impôts des députés… (Par SONKO)

ABSENCE OU FAIBLE IMPOSITION DES REVENUS DES DÉPUTÉS.

Dès que j’ai perçu mon premier bulletin de paie de député de 2017, j’ai été heurté par une incongruité : sur la rubrique « impôt sur le revenu » il n y a aucune perception. Zéro (voir copie bulletin annexée). Il n’est retenu qu’un minimum fiscal (IMF) de 1500 francs.

Sidéré, j’adressais immédiatement une question écrite au ministre de l’Économie et des Finances pour l’interpeller. Cette correspondance dépassait le cadre des députés et impliquait d’autres rémunérations politiques ou administratives. Je vous la reproduis également in extenso/.

Dakar, le 13 novembre 2017

Monsieur le Ministre,

Objet : Application intégrale des dispositions du code général des impôts en matière d’impôt sur le revenu.

Monsieur,

Il apparaît que les traitements publics, soldes, indemnités et primes de toutes natures, émoluments, salaires et avantages en argent ou en nature les plus importants échappent totalement ou largement à l’imposition. Ainsi en est-il des rémunérations des ministres, députés et autres conseillers, agents des impôts et des domaines, de la douane, du trésor, des magistrats, diverses indemnités de vacations dans les instituts d’enseignement privé, marine marchande… (la liste est très longue) ; avec des taux d’imposition variant entre 0% et 10% au plus, donc largement en deçà du taux minimal d’imposition de 25% retenu par le barème du code général des impôts.

Cette situation est née de ce que, pour chacune de ces catégories d’agents publics, la plus grande partie des revenus est « supposée » exonérée par des textes très anciens ou récents.

Cependant, toutes ces dispositions éparses, exorbitantes du droit commun, sont devenues obsolètes avec l’entrée en vigueur du code général des impôts le 31 décembre 2012, qui a institué un droit commun incitatif.

Ce nouveau référentiel prévoit les dispositions suivantes au titre des mesures transitoires :

Article 718. (…) Les dispositions relatives à l’impôt sur les traitements et salaires et la contribution forfaitaire à la charge des employeurs sont applicables aux traitements, salaires, indemnités et émoluments dus et versés à compter du 1er janvier 2013.

Article 720. Sont abrogées toutes dispositions légales de droit commun présentement applicables et afférentes aux impôts directs et taxes assimilées, et aux taxes et droits indirects internes, aux droits d’enregistrement, de timbre, de publicité foncière et taxes assimilées, notamment la loi 92-40 du 09 juillet 1974 instituant le code général des impôts modifiée.

Article 721. Sont rapportées toutes dispositions réglementaires antérieures contraires à la présente loi émanant des autorités administratives ou fiscales, notamment celles contenues dans :

– la circulaire n° 0006779/MEF/DGID/BLEC du 20 août 2004 ;

– les circulaires, notes, lettres et réponses administratives émanant du Ministère de l’Economie et des finances et de la Direction générale des Impôts et des Domaines.

Le défaut d’application de ces dispositions, hormis les énormes pertes de recettes causées au Trésor public, instaure l’injustice fiscale comme l’une des formes les plus exacerbées de l’injustice sociale.

En guise d’illustration, un député « ordinaire », qui perçoit un net de 1 300 000 (compte non tenu des avantages pécuniaires informels telle l’indemnité logement payée sur état à part, ni des avantages en nature tels le carburant et les véhicules…), ne subit qu’une retenue de 1500 francs sur les 221 787 francs dus si la loi avait été correctement appliquée.

En comparaison, quelques illustrations (voir annexe pour détail) :

– Un professeur psychologue conseiller subit une retenue de 230 500 francs sur un salaire imposable de 887 000 francs ;

– Un docteur médecin subit une retenue de 117 100 francs sur un salaire imposable de 673 000 francs ;

– Un ingénieur des parcs nationaux subit une retenue de 67 140 francs sur un salaire imposable de 378 000 francs ;

– Un ingénieur informaticien subit une retenue de 118 463 francs sur un salaire imposable de 596 000 francs ;

– Un professeur d’enseignement moyen subit une retenue de 61 420 francs sur un salaire imposable de 438 000 francs …

Questions : pourquoi vos services se sont abstenus, jusqu’à présent :

– de procéder au recensement exhaustif des revenus et corps concernés par ces exonérations indues ?

– De leur appliquer le régime fiscal idoine ?

*Ousmane SONKO, Député
13ème Législature 2017-2022

Dans sa réponse (que je publierai plus tard), monsieur le ministre (qui est pourtant inspecteur des impôts) s’est contenté de reprendre les arguments farfelus avancés par le bureau de l’assemblée et certains députés : les députés perçoivent des indemnités et donc sont exonérés. Ce qui est totalement erroné. Et pour preuve, d’un bulletin à l’autre les services de l’Assemblée s’arrangent pour percevoir des montants d’impôt sur le revenu (voir le bulletin produit par l’honorable Decroix).

La vérité c’est qu’ils font n’importe quoi. L’État et l’Assemblée se sont entendus pour arrêter des montants fixes de rémunération d’un député selon qu’il soit membre du bureau ou non. A charge pour les services de l’Assemblée de se livrer à des gymnastiques en manipulant les différentes rubriques (FNR, IPRES, IPRES « CADRES », Minimum fiscal, Impôt sur le revenu, Caisse de retraite des députés) sur aucune base technique. L’essentiel c’est d’aboutir au final au montant net convenu pour le député.

Ainsi, en tant que député simple percevant 1 300 000 et ayant droit à 5 parts, on me prélève zéro francs d’impôts à la place des 221 787 francs dus ;

Sur le bulletin produit par l’honorable député Mamadou Diop Decroix, il y est perçu, sur un revenu de 1 600 000, un impôt de 67 067 CFA alors que, même avec un quotient familial plafonné à 5, il aurait dû subir une retenu de 295 000 francs CFA.

Cette affaire est symptomatique d’un mépris total des règles élémentaires en matière de légalité fiscale.

Au delà, l’Assemblée nationale du Sénégal est une zone de non droit budgétaire avec des fonds discrétionnaires de plus de huit milliards, votés chaque année sans débat par la majorité mécanique, et non soumis à quelque contrôle (ni IGE, ni Cour des comptes, …).

Le président et la majorité en font ce qu’ils veulent et refusent de rendre compte, même lorsque l’OFNAC se saisit à la suite du scandale des surfacturations des frais d’entretien du parc automobile.

Cette « immunité » fiscale est appliquée également, de manière illégale, à beaucoup d’autres rémunérations publiques au moment ou le petit gorgorlou lui ne peut en aucun cas échapper à la rigueur de la loi fiscale.

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