Pourquoi la règle du but à l’extérieur est-elle en danger ?

Introduite en 1965, la règle dite “du but à l’extérieur” pourrait vivre ses dernières heures. Mercredi dernier, le comité exécutif de l’UEFA a évoqué la possibilité d’une abolition suivant l’avis des coaches européens exprimé en septembre dernier. Preuve que les réalisation en terre adverse n’ont plus le vent en poupe.
87e minute à Stamford Bridge. Demba Ba surgit au deuxième poteau. Chelsea mène désormais 2-0 face au PSG après avoir perdu 3-1 au Parc des Princes. En 2014, Paris est éliminé et les Blues d’un José Mourinho aux anges se qualifient pour les quarts. Et en 2022 ? Rien ne dit que les Londoniens valideraient leur ticket dans pareille situation.

Car c’est une révolution qu’envisage à terme l’UEFA. Pas du genre qui s’exprime dans la rue mais dans les couloirs feutrés de l’UEFA. Mercredi, le comité exécutif de l’instance européenne a discuté d’une disparition de la règle dite “du but à l’extérieur”. Celle permettant de départager deux équipes à égalité au terme de 180 ou 210 minutes de jeu en favorisant la formation ayant le plus marqué loin de ses terres.

Instaurée en 1965 en Coupe des Coupes avant d’être appliquée à toutes les compétitions, cette règle fait les beaux jours des matches continentaux de milieu de semaine depuis plus d’un demi-siècle. Combien de matches retours ont connu un scénario débridé grâce à cette différence si particulière, à ce but qui ne compte pas vraiment double mais vaut clairement plus qu’un ? Les amoureux de foot vous le diront probablement : celle règle cause autant de maux de tête à calculer les différentes possibilités que de bonheur aux heureux bénéficiaires. Pour autant, est-elle encore pertinente ?

Que dit la règle ? Selon l’article 20 du règlement édicté par l’UEFA, “si les deux équipes ont marqué le même nombre de buts sur l’ensemble des deux matches, celle qui a marqué le plus grand nombre de buts à l’extérieur se qualifie pour le tour suivant”.
Si d’aventure, les deux équipes présentes un bilan similaire, le match est prolongé de deux périodes de quinze minutes. “Si les deux équipes marquent le même nombre de buts pendant la prolongation, les buts marqués à l’extérieur comptent double (c’est-à-dire que l’équipe visiteuse se qualifie pour le tour suivant)”, précise ainsi la règle.

Un football mondialisé qui abaisse les frontières
54 ans séparent la création de cette règle à sa remise en cause aujourd’hui. Attention, porte ouverte enfoncée : il ne s’agit plus du même football. Inventée pour résoudre des problèmes de calendrier et éviter des “replays” à répétition mais aussi écarter les méthodes de l’époque (tirage au sort qui a notamment permis à Liverpool de se qualifier en demie en Coupe des clubs champions), elle venait aussi s’insérer dans un football bien éloigné de celui d’aujourd’hui. Se déplacer au Marakana de Belgrade dans ces années-là n’avait rien à voir avec la balade de santé connue par le PSG l’hiver dernier.

À l’époque, c’est l’Inter d’Helenio Herrera qui dominait l’Europe avec son catenaccio proche de la perfection. Avec sa manière de défendre bec et ongles à l’extérieur, l’équipe intériste parvient à survivre à tout. Alors, pour pousser les équipes à ne pas se calquer entièrement sur ce modèle, le choix de cette règle a permis d’atténuer quelque peu la puissance d’une philosophie en vogue. Mais la pertinence de cette règle aujourd’hui est-elle encore réelle ? Entre internationalisation des joueurs, uniformisation des terrains et des ballons, l’argument est simple : pour Simeone and co, cette règle est passée et doit être révisée. Et, dans ce combat, les entraîneurs européens ont fait partie des précurseurs.

Considéré comme le père du Catenaccio, Helenio Herrera a conduit l’Inter à deux sacres européens, en 1964 et 1965. Il est le dernier entraîneur sud-américain à avoir soulevé le trophée de la C1.
Considéré comme le père du Catenaccio, Helenio Herrera a conduit l’Inter à deux sacres européens, en 1964 et 1965. Il est le dernier entraîneur sud-américain à avoir soulevé le trophée de la C1.Panoramic

” Quand je jouais à domicile, je me disais ‘ne prends pas de buts’”
L’un des plus militants sur le sujet n’est autre que José Mourinho. En mars 2014, juste avant de sortir le PSG, il avait pris position contre cette règle, affirmant que l’égalité était rompue à partir du moment où des prolongations se déclenchaient : “Le match retour est toujours un avantage pour l’équipe qui joue à l’extérieur, pas pour celle qui joue à domicile, avait-il avancé. Parce que, en cas de prolongation, les visiteurs ont trente minutes de plus pour marquer un but qui comptera double ! Donc c’est mieux de se déplacer au retour”. Voilà pour les prolongations, souvent citées par les coaches européens, notamment en septembre dernier lors de leur raout annuel, comme raison principale de leur désamour envers la règle.

Arsène Wenger et Sir Alex Ferguson, dont l’expérience en Ligue des champions n’a pas d’égale puisqu’ils sont ceux qui en ont le plus disputé depuis 1992, ont eux avancé un autre argument : celui d’une manche aller privée de spectacle. Pour l’ancien patron d’Arsenal, “cela favorise la bonne défense à domicile”. Le boss de MU, en phase avec son rival historique, avait développé cette idée sans se cacher, en 2014 également.

“Si on revient trente ans en arrière, les contre-attaques se faisaient à un ou deux joueurs, analysait-il. Aujourd’hui, il peut y avoir cinq ou six joueurs. D’un point de vue personnel, quand je jouais à domicile, je me disais ‘ne prends pas de buts’”. Voilà pour l’autre argument phare et une prétendue phase aller dépourvue d’envies offensives.

Brandao marque un but décisif face à l’Inter Milan
Brandao marque un but décisif face à l’Inter MilanGetty Images

Dans les stats, son influence est mineure
Omar Chaudhuri, à la tête du 21stclub, sorte de think-tank du football, s’est amusé à mettre des chiffres sur cette idée reçue. Selon ses calculs, depuis 2003 en C1, près de 10% des manches aller se sont soldées sur un score nul et vierge. Un taux similaire ou presque à celui connu par les affrontements en phase de poules entre les deux premiers de groupes. Autrement dit : l’attrait ou la menace du but à l’extérieur ne change rien à l’affaire.

De manière purement statistique, et donc sans prendre en compte les éventuels changements de stratégie indus par ces buts à l’extérieur, on se rend également compte que peu d’affrontements ont été tranchés grâce à cette règle. Sur les dix dernières années, sur les 150 confrontations à partir de 8es de finale, seulement 13 ont été réglées grâce à cette règle du “but à l’extérieur compte double en cas d’égalité”. La saison passée, c’est ce but à l’extérieur qui a permis à la Roma d’écarter le Chakhtar Donetsk en 8e de finale (2-1, 1-0) avant de faire tomber l’ogre barcelonais (4-1, 3-0).

Autre point anecdotique mais intéressant, sur les dix dernières années, les clubs français ont souvent été concernés : Paris (bénéficiaire en 2015 mais victime en 2013 et en 2014), Monaco (bénéficiaire en 2015 et 2017) et l’OM (bénéficiaire en 2012). Si ces clubs ont su s’en tirer, c’est surtout car ils ont su marquer dans des temples européens, réelle performance qu’il convient de récompenser justement. Inscrire un but au Camp Nou n’a pas grand-chose à voir avec un but sur un terrain “mineur”. Mais tout le monde ne l’entend pas toujours de cette oreille.

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