Ryanair : une grève sans précédent pour un modèle à bout de souffle

La grève historique des pilotes de Ryanair est le symptôme d’une crise plus profonde : celle du modèle de croissance de la compagnie irlandaise dans un environnement de plus en plus compétitif.
Ryanair a mal à son modèle. Le roi irlandais de l’aérien à bas coût subit, vendredi 10 août, la plus importante grève de son histoire, organisée par des pilotes qui lui demandent, somme toute, de tirer un peu moins sur la corde du low-cost.

Le mouvement a été suivi dans cinq pays – Irlande, Allemagne, Pays-Bas, Suède et Belgique – et a forcé la compagnie aérienne à annuler 396 vols au plus haut de la saison estivale. Les syndicats de pilotes exigent une amélioration de leur rémunération et de leurs conditions de travail. Ils veulent davantage être traités comme ceux qui volent “pour d’autres compagnies à bas coût, telles que l’Allemande Eurowings ou la Britannique Easyjet”, résume Janis Schmitt, porte-parole de Vereinigung Cockpit, le syndicat allemand des pilotes, contacté par France 24.

Ryanair dénonce une grève “injustifiée”. “Les pilotes allemands gagnent jusqu’à 190 000 euros par an, ont obtenu une hausse de salaire de 20 % en début d’année. [Nos] pilotes touchent au moins 30 % de plus que ceux d’Eurowings”, a répliqué Kenny Jacob, le directeur du marketing de la compagnie irlandaise dans un communiqué de presse. Des affirmations contestées par les syndicats qui soulignent que le salaire n’est qu’une facette de ce que les pilotes perçoivent et qu’il faut aussi comparer les avantages sociaux (cotisation retraite, couverture maladie…) et prendre en compte la part variable de la rémunération.

Situation sociale de plus en plus tendue

Cette guerre des chiffres n’est, en réalité, qu’un symptôme d’un mal plus profond. La grève est l’aboutissement d’une situation sociale de plus en plus tendue depuis l’automne 2017. En septembre dernier, Ryanair avait dû procéder à des annulations en cascade pour faire face à des problèmes de planning des pilotes. En décembre, les pilotes allemands avaient organisé la première grève de l’histoire de la compagnie irlandaise. Le personnel d’autres pays – Irlande, Portugal, Espagne ou encore Belgique – a ensuite suivi le mouvement au printemps 2018.

Conscient que la mécanique très bien huilée du modèle Ryanair était en train de se gripper, Michael O’Leary, l’emblématique PDG de la compagnie, avait accepté de reconnaître un syndicat de pilotes en janvier 2018. Une révolution pour ce patron qui avait refusé de négocier avec les organisations représentatives depuis la création du groupe en 1984. La compagnie avait annoncé dans la foulée une hausse de 20 % des salaires des pilotes.

Mais cela n’a pas suffi. Au cœur du conflit qui secoue la compagnie : le statut des pilotes. Une majorité d’entre eux est liée à Ryanair par des contrats de droit irlandais et non pas régis par le droit local de leur lieu d’affectation, comme c’est la norme pour la plupart des autres compagnies aériennes. “Aujourd’hui, on se bat pour notre rémunération et nos conditions de travail, mais c’est vrai que dans un monde idéal, on aimerait tous être soumis au droit de notre affectation”, reconnaît Janis Schmitt.

Merci la Chine

Cette spécificité juridique explique, avec le choix de décoller depuis des aéroports secondaires et la facturation de tous les à-côtés durant un vol, le succès économique de Ryanair, qui espère dégager un bénéfice d’1,3 milliard d’euros en 2018. Cette pratique contractuelle lui permet de ne pas payer “des charges sociales ou patronales des différents pays où se trouvent les pilotes”, explique au Monde Dirk Polloczek, président de l’European Cockpit Association. Pour ce syndicaliste, cette économie substantielle permet à Ryanair d’avoir un sérieux avantage sur ses concurrents dans la course aux prix les plus bas.

C’est une marque de fabrique de la compagnie irlandaise depuis ses débuts, et les pilotes ont longtemps avalé cette couleuvre sans broncher. Dans un contexte de surabondance de pilotes sur le marché européen, “ils avaient peur de se plaindre et de protester”, se souvient Janis Schmitt.

Mais la mentalité a lentement changé avec la montée en puissance d’autres pays sur la scène aérienne. Le ciel est devenu de plus en plus embouteillé par des compagnies chinoises ou du Moyen-Orient qui offrent aux pilotes mécontents d’autres horizons.“La situation du marché joue en notre faveur. On est moins réticent à protester lorsqu’on sait qu’on peut toujours aller travailler en Chine où les pilotes peuvent être payés deux à trois fois plus qu’ici, et cela met une pression économique sur Ryanair”, note Janis Schmitt. L’an dernier, environ 700 pilotes ont ainsi quitté le giron de Ryanair pour voguer vers d’autres cieux, d’après le syndicat irlandais des pilotes de ligne en septembre 2017.

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